Le Vatican a présenté, vendredi 17 mai, de nouvelles normes pour évaluer les phénomènes surnaturels. Le dicastère pour la doctrine de la foi change d’approche, renonçant, sauf exception, à reconnaître la véracité des apparitions mais proposant six niveaux d’appréciation qui permettront dans des délais courts de se situer face à des apparitions mariales présumées.
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La Vierge Marie est-elle vraiment apparue dans la petite bourgade de Medjugorje, dans le sud de la Bosnie ? Depuis 1981, date des apparitions qu’auraient vues six adolescents, aujourd’hui âgés d’une soixantaine d’années, la question n’a cessé d’agiter l’Église catholique, provoquant des polémiques d’une rare virulence parfois. C’est pour en finir avec ce type de débat, posé non seulement par les « apparitions » de Medjugorje, mais aussi toutes celles régulièrement signalées à travers le monde, que le Vatican a publié de nouvelles normes, vendredi 17 mai.
La quinzaine de pages, approuvées par le pape en avril et présentées à la presse par le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du dicastère pour la doctrine de la foi depuis octobre, esquissent une ligne claire, qui pourrait être résumée ainsi : alors que toute la procédure de reconnaissance d’une apparition se résumait jusque-là à un débat sur la « supernaturalité » du phénomène, c’est-à-dire à sa « véracité », le Vatican fait le choix d’évacuer désormais, en grande partie, ce débat insoluble. Car ces évaluations, indique Rome dans son nouveau document, pouvaient s’étaler sur des décennies, provoquant parfois « une certaine confusion » chez les fidèles. Comme c’est le cas pour Medjugorje. Ou pour d’autres phénomènes comparables, signalés à Amsterdam, dans les années 1950, avant que l’évêque du lieu ne formule finalement un « jugement négatif » en la matière en… 2020.
Une nouvelle classification
Pour contourner ce problème, le Vatican établit une nouvelle échelle selon laquelle classer ces apparitions en six catégories, allant du « Nihil obstat » à la « Declaratio de non supernaturalitate ». La première d’entre elles revient ainsi à une reconnaissance par un évêque que des apparitions mariales sont intervenues dans son diocèse « d’une action de l’Esprit Saint », ouvrant ainsi à la possible « diffusion de cette proposition spirituelle, y compris à travers d’éventuels pèlerinages vers un lieu sacré ».
Dans ce cas, qui devient la plus haute reconnaissance possible d’une apparition, selon la nouvelle classification, « aucune certitude n’est exprimée quant à l’authenticité surnaturelle du phénomène ». Signe d’une grande prudence romaine et d’une volonté de protéger les fidèles contre les mystificateurs, ce jugement sur la « supernatularité » du phénomène est désormais réservé au pape seul. Les fidèles ne sont plus jamais tenus de croire à cette apparition, insiste ainsi le Vatican, marquant une rupture avec certaines déclarations de reconnaissance passées.
À l’autre bout du spectre, d’autres phénomènes peuvent faire l’objet d’une « Declaratio de non supernaturalitate », par laquelle un évêque déclare que « le phénomène est reconnu comme non surnaturel ». « Cette décision doit être fondée sur des faits et des preuves concrètes et avérées », explique le Vatican. Cela arrive, par exemple, « lorsqu’un voyant présumé affirme avoir menti » ou lorsque existent des preuves de « falsification » ou de « mythomanie ».
Ni « esprit sectaire », ni « division », ni « abus »
Pour opérer cette classification, les évêques ont à leur disposition plusieurs critères, énoncés par Rome, comme « l’équilibre psychique » des voyants présumés, « l’orthodoxie doctrinale du phénomène et de l’éventuel message qui lui est associé », ou encore « le caractère imprévisible du phénomène ». Une apparition présumée ne peut en effet être « le résultat de l’initiative des personnes impliquées », rappelle le dicastère. Elle ne peut pas non plus être à l’origine d’un « esprit sectaire » engendrant « la division », ou d’un quelconque « abus ».
Mais le Vatican, dont le dernier document en la matière datait de 1978, accorde aussi désormais une importance particulière aux « fruits de vie chrétienne » provoqués chez les pèlerins venant prier sur les lieux de la prétendue apparition. Rome cite par exemple « l’existence d’un esprit de prière, les conversions, les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse », ou encore « les témoignages de charité ». Désormais, l’évêque peut ainsi autoriser les pèlerinages, même si « plusieurs éléments critiques ou significatifs sont relevés », à condition qu’existent « une large diffusion du phénomène » et « une présence de fruits spirituels liés à celui-ci et vérifiables ». « Une interdiction qui pourrait indisposer le Peuple de Dieu est déconseillée à cet égard », peut-on lire dans le nouveau document romain.
Une enquête préliminaire envoyée à Rome
Même si le cardinal Fernandez se refuse à indiquer la moindre donnée chiffrée, les signalements d’apparitions présumées n’ont jamais cessé à Rome. « Cela représente un temps de travail non négligeable du dicastère de la doctrine de la foi », explique à La Croix un théologien romain. Ces derniers mois, le Vatican a par exemple dû évaluer la véracité de statues de la Vierge pleurant des larmes de sang ou d’autres multipliant des pizzas et des gnocchis. Il veut désormais tenir une ligne de crête : d’un côté, indiquer qu’il n’est pas possible de reconnaître « avec certitude » de tels phénomènes ; de l’autre, respecter la spiritualité populaire de fidèles se rendant sur les lieux d’apparitions présumées.
Avec ces nouvelles règles, Rome entend aussi reprendre la main sur l’évaluation de ces phénomènes. Aussi ne pourra-t-il plus relever exclusivement des évêques locaux. Certes, ces derniers seront toujours chargés des enquêtes préliminaires, avec l’aide « d’experts » qualifiés, sur lesquels le Vatican insiste particulièrement. Ils devront envoyer les résultats de ces travaux à Rome, où le dicastère pour la doctrine de la foi classera le phénomène évalué selon l’une des six nouvelles catégories. Et c’est cette décision que l’évêque annoncera. Pour Rome, il s’agit à la fois de renforcer l’autorité des responsables catholiques présents sur place, en rendant la décision incontestable, mais aussi de limiter l’action de groupes de pression, pour ou contre la reconnaissance de tel ou tel phénomène, au niveau local.
Ce changement de logique ne manquera pas de provoquer des « réactions diverses », a anticipé le cardinal Fernandez. Aussi bien sur les « réseaux sociaux », où « tout le monde est expert de tout », a ironisé l’archevêque argentin, mais aussi parmi les « théologiens ». Mais les nouvelles règles, a-t-il prévu, permettront aussi d’arriver enfin à des conclusions définitives du Vatican sur les apparitions de Medjugorje. De quoi, peut-être, mettre fin à l’une des controverses les plus vives, qui aura alors duré quasiment un demi-siècle.
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Les six catégories du Vatican
Nihil obstat.« Aucune certitude n’est exprimée quant à l’authenticité surnaturelle du phénomène », mais il existe « une expérience spirituelle », sans qu’aucun « aspect particulièrement critique » n’ait été détecté. Les pèlerinages sont autorisés.
Prae oculis habeatur. Des « signes positifs importants » sont attestés, mais également « des éléments de confusion » possible. L’évêque doit exercer « un discernement attentif ».
Curatur. « Plusieurs éléments critiques » sont relevés mais le phénomène est déjà largement diffusé, et on note une « présence de fruits spirituels ». L’évêque ne doit pas encourager le phénomène.
Sub mandato. Il existe des « points critiques » liés à des abus exercés en lien avec le phénomène. L’évêque prend la direction pastorale du lieu.
Prohibetur et obstruatur. « Les points critiques et les risques semblent sérieux. » L’adhésion à ce phénomène n’est pas permise et l’évêque offre une catéchèse pour faire « comprendre les raisons de la décision ».
Declaratio de non supernaturalitate. Le phénomène est reconnu comme non surnaturel. Par exemple en cas de mensonge d’un présumé voyant.
Loup Besmond de Senneville, La Croix, 21/05/2024.