Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

4ème dimanche de Pâques – Année B – 25 avril 2021 – Évangile de Jean 10, 11 – 18

Évangile de Jean 10, 11 – 18

Jésus est le bon berger

En Occident, la coutume s’est installée depuis longtemps de représenter le Christ en croix. Dans nos églises et dans nos maisons, le symbole chrétien, c’est le crucifix : image émouvante du prix payé pour notre salut mais toujours Christ suspendu et mort. Or cette image est tardive : la plus ancienne qui ait été conservée date du 5ème siècle seulement, sur un portail de l’église dominicaine sainte Sabine à Rome. Et encore, le style n’en est pas réaliste mais symbolique, avec un Jésus plus grand que les deux larrons et dressé debout, bras ouverts, comme vivant.

Les toutes premières images du culte chrétien, sur les parois des catacombes romaines, sont celles de Jésus le Bon Pasteur. Nos ancêtres vivaient des moments très pénibles, souffraient de persécutions et risquaient la mort mais pour témoigner fièrement de leur foi, ils proclamaient de la sorte que Jésus était bien vivant au milieu d’eux, qu’il les gardait et les conduisait dans le Royaume de son Père.

Le crucifix proclame l’amour inoubliable que Jésus, dans le passé, a montré en donnant sa vie pour les hommes. Le Bon Pasteur proclame que Jésus est aujourd’hui vivant, présent au milieu des siens.

L’Occident rappelle la mort ; l’Orient, avec ses icônes, présente la Vie. Pâques est ainsi proclamé sous ses deux faces inséparables.

DEUX DANGERS DE L’IMAGE DU BERGER

Le premier est la mièvrerie. Des images pieuses donnent encore une représentation en tons de pastel du « Doux Jésus » caressant un agneau mignon. Insupportable !

Le métier de berger, en ce temps-là et en ces pays, était rude, pénible, dangereux même. Rareté des herbages, manque de précipitations, sources taries, chaleur, soin des animaux blessés, recherche des bêtes égarées… Sans compter la menace des voleurs et le péril des prédateurs. La vie chrétienne n’est pas « un long fleuve tranquille ».

Le second est celui de l’aliénation. En nous faisant chanter « Le Seigneur est mon berger » et en parlant de sa « pastorale », l’Eglise peut hérisser certains. Serions-nous des moutons de panurge, embrigadés dans un système de croyances et de rites et tenus de suivre à la lettre tous les règlements ? Au contraire personne n’est plus libre que le croyant. Jésus dit qu’il « « appelle chacun par son nom ». La foi est réponse libre, vocation personnelle. Les moutons de panurge sont plutôt les gogos matraqués par les slogans publicitaires, hypnotisés par les spectacles, esclaves des modes.

FUIR OU DONNER SA VIE

Démunies de moyens de défense, sans crocs ni griffes, lents à la course, promesses de délicieux gigots, les brebis sont vulnérables. A l’approche du loup, elles s’égaillaient dans tous les sens, ce qui causait leur perte. Le mercenaire, payé pour ce travail, sauvait sa peau en s’enfuyant au plus vite.

Le siècle dernier a vu paraître les plus ignobles spécimens de ces hommes qui prétendaient être « le guide », « le petit père des peuples », « le grand timonier », « le Führer » et qui fascinaient les masses crédules par leur éloquence enflammée, leurs promesses mensongères. Staline, Hitler, Mao, Pol Pot promettaient bonheur et vie et ils ont causé la mort, dit-on, de plus de 75 millions de leurs compatriotes. Et que dire du système actuel du capitalisme sans limites, avec l’exploitation des misérables, la destruction des ressources, l’élimination d’espèces animales ? De combien de victimes se paient l’enrichissement et le confort de certains pays ? Les paradis fiscaux des uns jettent des masses silencieuses dans les enfers des tropiques.

En contradiction totale avec cette idolâtrie mortelle, Jésus affirme qu’il défend les siens jusqu’à accepter de mourir pour eux. Et il le prouve.

« Je donne ma vie pour » : l’expression centrale est répétée 5 fois dans le texte.

Pourquoi ? Parce qu’il y a une relation spéciale, tout à fait unique, entre Jésus et ses disciples. Ils ne sont pas seulement ses adeptes, des élèves qui marchent derrière lui :

Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.

Attention à la signification profonde des mots.

« Connaître » a un sens très fort : il ne s’agit pas seulement de savoir les noms, de reconnaître les visages. Mais d’une union, d’une comm-union profonde.

Et le « comme » n’indique pas une simple comparaison (« Il en va de même … ») mais une cause : c’est le lien d’amour qui unit le Père à Jésus son Fils.

Jésus ne copie pas avec nous le lien qu’il a avec son Père : le Fils prolonge en nous la communion qui l’unit à son Père. Si bien qu’à notre tour, nous pouvons être unis à lui comme à son Père.

UN AMOUR UNIVERSEL

J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix. Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.

Jésus est né et a inauguré son Royaume en Israël mais, par ses disciples, il va pénétrer dans tous les enclos, tous les pays du monde. L’Évangile est la Bonne Nouvelle qui peut rejoindre tous les humains de toutes conditions et les unir en une seule communauté fraternelle.

L’Évangile est par essence universel, œcuménique. Il ne supprime pas les différences, il laisse chaque « enclos » exprimer et chanter sa foi à sa manière, selon sa culture. Qu’ils soient juifs, chinois, congolais, mexicains, canadiens, tous ceux qui écoutent la Voix de Jésus et le suivent sont frères et sœurs. Toute rivalité entre eux est interdite, toute scission arrête la course de l’Évangile.

MORT ET RESURRECTION

Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. 

Dès le début on a tenté d’expliquer la Passion en insinuant que Jésus avait été victime inconsciente d’un complot tramé par les grands prêtres. Accusation très grave car alors il n’y aurait eu au Golgotha que l’exécution d’un juste. Jésus restait, comme Jean-Baptiste ou M.L. King, un prophète assassiné donc un modèle de courage et d’héroïsme.

Or si ses ennemis ont manigancé dans l’ombre pour se saisir de lui par ruse, Jésus affirme haut et fort qu’en réalité c’est lui qui s’est donné. Au Golgotha on a vu l’exécution d’un homme condamné : en réalité, Jésus se donnait, il faisait de sa mort un don, un sacrifice par amour des hommes. Derrière l’image d’un supplice barbare se révélait, aux yeux des croyants, le plus grand amour du monde. Tellement grand, tellement divin, que le Père a rendu la vie à son Fils qu’il aime. Ce ne fut pas une restitution de vie charnelle ni une réincarnation mais la Vie éternelle, la Vie au sens divin, la Vraie Vie, la Vie que Dieu est.

JE SUIS LE BON BERGER : UNE AFFIRMATION SCANDALEUSE

Le prophète Ezéchiel avait écrit une charge terrible contre les rois d’Israël, mauvais bergers, corrompus, exploiteurs des pauvres et finalement causes de la dispersion du peuple. Mais ensuite il avait prophétisé qu’un jour Dieu lui-même viendrait prendre soin de son troupeau (Ez 34, 11) et qu’il délèguerait le Messie, descendant de David pour réunir les brebis dispersées et les conduire dans l’unité, la paix et la justice (Ez 34, 23)

En affirmant « Je suis le Bon Pasteur », Jésus pose une revendication messianique, il affirme que c’est bien lui qui réalise la prophétie. Il y a là tout autre chose qu’une gentille image poétique. D’ailleurs les Pharisiens l’ont bien compris : ils ne lui répondent pas par la dérision et la moquerie, au contraire ils sont excédés, ils brûlent de rage, convaincus qu’il faut au plus tôt exécuter ce fou, ce blasphémateur. Et mystérieusement, devant ces « loups », Jésus sera l’AGNEAU DE LA PAQUE pour devenir, ressuscité, le PASTEUR plein de miséricorde qui unit autour de sa croix la multitude des brebis égarées.

CONCLUSION

Heureux sommes-nous d’avoir été appelés et de suivre celui qui, par amour pour nous, a donné sa vie et est désormais à tout jamais le seul vrai Berger, le Guide sûr qui nous rassemble et nous conduit à notre destination finale : dans la Maison du Père.

Mais osons-nous vraiment suivre le Christ, pratiquer l’Evangile, refuser des conduites présentées comme normales par la société, opter pour un style de vie différent, alerter sur les périls encourus par le monde ? Les « mercenaires » qui veulent guider le peuple pour des motivations financières et politiques restent à l’affût. Le chrétien doit veiller, demeurer sur ses gardes.

Nous sommes tristes de voir tant de jeunes appelés par les slogans menteurs, séduits par les maîtres du mensonge et des tyrans qui les entraînent à la drogue, au désastre, à la guerre, à la mort.

Et nous prions pour ceux et celles qui ont reçu mission en Église d’être des pasteurs et de conduire leurs frères : qu’ils soient à l’image de notre Seigneur.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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