Évangile de Luc 3, 10-18
« Soyez Toujours dans la Joie du Seigneur » (Paul)
En dépit de la crise du covid, notre société réussit vaille que vaille son grand show de fin d’année . On y parle aussi un peu de Noël mais le mot a perdu à peu près toute référence chrétienne : la fête est redevenue ce qu’elle était à l’origine : la célébration du solstice d’hiver. Les nuits diminuent, les jours allongent, fêtons le retour de la lumière et de la vie par un sapin toujours vert, des lampions, des cadeaux, des banquets, des « réveillons » qui, par leurs excès, ont plutôt l’effet de « roupillons. Toute une ambiance que les communautés chrétiennes voient comme un beau rêve d’un monde pacifié et éclairé. Un rêve, une parenthèse car comment faire un monde si on enlève le Christ, le Messie qui doit le sauver ?
Nous, l’Avent nous a réveillés depuis quelques semaines. Le premier dimanche nous a révélé le sens d’une histoire chaotique et dangereuse mais où le Seigneur vient accomplir un monde de paix, de grâce, de fraternité. La foi ne nous fait plus rêver mais nous arme d’une espérance solide. Le 2ème dimanche, un grand prophète nous a exhortés à changer de vie, à aplanir le chemin du Seigneur qui vient.
Mais que signifie « travailler à tracer ce chemin » ? Aujourd’hui, 3ème étape, le même prophète Jean nous précise le sens concret de cette expression et esquisse la figure du futur Messie. Admirons donc la pédagogie de la liturgie qui nous fait progresser pas à pas dans le vrai sens de Noël.
Que devons-nous faire ?
Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : « Que devons-nous faire ? ». Jean leur répondait : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas. Et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même. »
La pitié naturelle nous incite – de temps en temps – à faire un don à un démuni ou un affamé ; les fêtes nous poussent à offrir des cadeaux à nos parents et amis ; nous écoutons les appels des organisations humanitaires et nous donnons des sacs de vêtements. C’est bien. Mais Jean nous commande de pratiquer une miséricorde bien plus généreuse, un partage plus large. Non selon nos envies occasionnelles ou sous le choc des photos dramatiques. Mais parce que le don aux pauvres est la méthode habituelle d’ « aplanir le chemin du Seigneur ».
Cette première exigence dictée par Jean fait naturellement basculer l’envie de toujours acheter et d’accumuler sans cesse que la publicité est si habile à instiller au fond de nous. Le matraquage est tel qu’il est bien difficile d’y résister mais l’obéissance à l’ordre d’un prophète de Dieu est beaucoup plus importante que l’imitation des modes. Un vrai chrétien est obligé de se démarquer de pratiques qui attaquent sa foi.
Refus de la concussion
Des publicains vinrent aussi se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? ». Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé ».
Ces hommes étaient exécrés par le peuple d’autant qu’ils récoltaient les impôts au profit des occupants romains et que beaucoup d’entre eux se remplissaient les poches en exigeant plus qu’il n’était dû. La concussion ! Aujourd’hui les ordinateurs les plus modernes ont beau traqué cette tentation, y a-t-il une semaine où n’éclate un scandale : tel comptable, tel secrétaire, tel Ministre ( !!) est dévoilé comme ayant détourné des sommes parfois astronomiques !! L’obsession de la fortune torture certains cœurs. L’impôt est à payer mais il faut observer la justice.
Refus de la Violence
A leur tour, des soldats lui demandaient : « Et nous que devons-nous faire ? ». Il leur répondit : « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde ».
Quelle jouissance de parader en uniforme, de porter des armes, de représenter la force, d’impressionner, de faire des opérations musclées ! Et en outre d’en profiter pour spolier des faibles, subtiliser des biens ! Jean n’interdit pas l’armée, pas plus que la perception d’impôts, mais il refuse tout emploi de violence et tout enrichissement indu.
En demandant le partage avec les pauvres, en refusant la violence et l’injustice, en mettant en garde contre la passion de l’argent, Jean est bien le « précurseur », celui qui précise la route que Jésus reprendra. Heureux déjà ceux et celles qui suivent cette conduite morale. Mais Jean va poursuivre en annonçant un au-delà.
Le Plus Puissant vient
Le peuple était en attente, tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie.
Jean alors s’adressa à tous : « Moi je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le Feu.
Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui n’éteint pas ». Par ces exhortations et bien d’autres encore, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle »
Jean effectivement a rencontré un grand succès populaire, très nombreux étaient ceux qui venaient l’écouter et demandaient son baptême ; au point que, après un si long temps de silence de Dieu, on se demandait si Jean n’était pas le mystérieux Messie promis par les Écritures. C’est alors que Jean se dresse vigoureusement pour détromper cette opinion et lancer sa grande nouvelle.
Moi, dit-il, je vous rappelle les préceptes de la Loi et mon baptême est seulement un acte significatif de la demande de pureté des gens qui se reconnaissent pécheurs devant Dieu. Mais effectivement le Messie va venir après moi. Il reprendra bien des points de mon message – au point que certains le prendront pour un prophète qui est mon disciple – mais en fait il sera une personne d’une tout autre envergure que la mienne, si bien que je ne suis même pas digne d’être son esclave.
Il reprendra le rite du baptême dans l’eau mais il détient une telle puissance divine que, par ce passage dans l’eau, il plongera les hommes dans le Feu de l’Esprit-Saint. Les baptisés par lui non seulement recevront le pardon de leurs fautes mais, par le don de l’Esprit, ils seront en communion avec Dieu.
Enfin le Messie opérera le jugement final de l’humanité. Marqué par les anciennes prophéties, Jean semble voir que ce jugement définitif et irrémédiable s’effectuera immédiatement dès la venue du messie et il reprend les anciennes images du tri : le bon grain dans le grenier, la paille au feu.
En fait, nous savons que les choses ne se passeront pas de cette façon instantanée : Jésus va agir de façon bien plus patiente. « Je ne suis pas venu pour les justes mais pour les pécheurs » dira-t-il. Il multipliera les efforts pour faire comprendre car il est « un Messie doux et humble de cœur ». Lorsque Jean-Baptiste, en prison, s’inquiètera de ne pas voir Jésus intervenir pour le sauver, il le renverra au réel : « Les handicapés marchent…La Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ». Le jugement ne sera pas une déflagration foudroyante car l’annonce de l’Évangile devra d’abord se répandre à travers le monde. Et même – événement inimaginable pour Jean – le Messie donnera sa vie en croix pour sauver les pécheurs.
Annoncer la Bonne Nouvelle Aujourd’hui
Par ces exhortations et bien d’autres encore, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
Ainsi donc, pour Luc, si Jean n’est que le « pré-curseur », il fait partie déjà de l’Évangile. Annoncer que Jésus le Messie s’approche et va venir, exhorter au changement, à une pratique de la justice, au refus de la cupidité et de la violence, c’ est déjà l’aurore de la Bonne Nouvelle.
C’est bien ce que nous avons à vivre aujourd’hui pour être, nous aussi, des « précurseurs » authentiques. Et c’est ce qui nous démarque des fausses promesses du monde. Celui-ci étale ses images de banquets mirifiques, de voyages de rêve sur « les plages paradisiaques » ou de glisses sur les pentes neigeuses, de cadeaux somptueux, de visages illuminés sous les sapins et rayonnant de bonheur.
Mais aucune publicité ne dit que ce bonheur n’est réservé qu’à une minorité. Et on a vite oublié les milliers de réfugiés que les États les plus opulents laissent couler dans les eaux. Allons, pas de grise mine, c’est Noël ! , portons nos robes de fête, que sautent les bouchons de champagne, ouvrons le coffret de notre Rolex.
A l’écoute de Jean et de la liturgie, nous tressaillons de la vraie joie. Nous demandons : « Que devons-nous faire ? ». Et nous nous appliquons à lui obéir et à ouvrir le chemin qui va, incessamment, nous faire découvrir celui qui nous aime, nous pardonne, nous réveille.
Ce 3e dimanche est celui de la Joie : « Pousse des cris de joie, tressaille d’allégresse…Le Seigneur ton Dieu t’apporte le salut…Il te renouvellera par son amour » (1ère lect)
Fr. Raphaël Devillers, dominicain.