Évangile de Jean 4, 5-42
La soif de Dieu
Avez-vous remarqué que, dans cet Évangile où Jésus, exténué, demande à la Samaritaine : « Donne-moi à boire », jamais il ne boit ? Dans le récit, jamais sa soif à lui, n’est étanchée.
Et, avez-vous remarqué le contraste qu’il y a avec la première lecture ? Dans le désert, le peuple souffrait de la soif. Et Moïse récrimine contre lui : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Et que fait Dieu ? Il leur donne à boire. Lui ne tergiverse pas : même si, comme le dit l’Écriture, le peuple assoiffé lui cherche querelle, Dieu fait immédiatement jaillir une source d’un rocher. Au-delà de nos mécréances, Dieu commence par combler nos besoins les plus immédiats. Ils me maudissent parce qu’ils ont soif ? Voici à boire …
On interprète souvent cet Évangile – et le texte nous y invite d’ailleurs – en présentant l’Esprit comme une source d’eau vive, qui étanche notre soif spirituelle : « celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle ». Et Paul nous incite à faire le lien avec le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné alors que nous n’étions encore capables de rien ». L’amour de Dieu, voilà l’eau vive que l’Esprit nous donne comme il donnait de l’eau sortie du rocher aux Hébreux dans le désert.
Mais qui se préoccupe de la soif de Dieu ?
Il y a un parallélisme troublant à faire entre le Jésus qui dit « Donne-moi à boire » à la Samaritaine et le Christ en croix dont Jean nous dit, plus loin, au chapitre 19, que « sachant que tout, désormais, était achevé, pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, il dit : « J’ai soif. »
En quoi l’étanchement de la soif de Jésus accomplit-il l’Écriture ? Est-ce simplement pour faire, au moment de la crucifixion, une référence parlante à la complainte du juste couvert d’insultes dans le psaume 70 ? ou est-ce véritablement l’étanchement de la soif de Jésus qui accomplirait les Écritures ?
L’Évangile d’aujourd’hui nous donne la réponse. Je vous ai quelque peu induit en erreur en vous disant que jamais la Samaritaine n’étanchait la soif de Jésus. Elle le fait, en tous cas elle lui donne à boire de cette eau vive qui est de le reconnaître comme Christ et de le glorifier comme Messie auprès des siens. Jésus dit alors à ses disciples : « Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur. » La moisson du jour c’est la foi de la Samaritaine. La reconnaissance, voilà ce qui étanche la soif de Dieu.
Jésus ajoute : « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » Si nous disons que l’eau vive est l’amour de Dieu que l’Esprit nous donne, étancher la soif de Dieu revient à lui rendre cet amour.
Nous apaisons la soif de Dieu lorsque nous l’aimons, nous sommes des sources d’eaux vives pour Dieu lorsque nous lui rendons témoignage. Chaque vie donnée au Christ est un flot étanchant la soif d’amour de Dieu. Chaque Eucharistie, chaque prière, chaque offrande, chaque don de soi est de l’eau pour la soif d’Humanité qu’éprouve Dieu.
Oh bien sûr, nos offrandes sont imparfaites, notre prière est faible et le don de nous-même est rarement limpide. La soif de Dieu n’est jamais pleinement étanchée des flots de notre amour que nous mêlons toujours quelque peu du fiel de notre péché.
Mais sur la croix, Jésus prit tout de même l’eau mélangée de vinaigre et dit « Tout est accompli ». Il suffit de ça : lui donner à boire de nous-même, même si notre breuvage est quelque peu amer ou corrompu.
Que le jaillissement de notre foi soit pour Dieu un étanchement véritable et que notre Carême nous aide à rendre la boisson un peu moins vinaigrée. Car Dieu a soif de notre amour.
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.