Évangile de Luc 23, 35-43
Le Roi de l’Univers
Nous célébrons ce dimanche le Christ Roi de l’Univers. De nos jours, « Christ » apparaît comme un nom propre, presqu’un second prénom de Jésus : il est Jésus-Christ. C’est commode d’autant qu’il y a plusieurs Jésus dans la Bible, qui est notamment le prénom de celui que nous appelons Barabbas.
Étymologiquement, « Christ » – du grec « Khristós » – signifie celui qui a reçu l’onction d’huile, littéralement « le badigeonné ». On trouve, par exemple, dans la Bible, l’usage du mot « christ » à propos d’un mur couvert d’enduit. Pour les personnes, il s’agit de l’onction divine, traduction du terme hébreu « Mashia’h », dont dérive le mot français « Messie ». Le Christ est ainsi celui que Dieu a consacré.
Le titre n’appartient pas qu’à Jésus. Dans l’Ancien Testament, les rois d’Israël sont christs ; Sirius, le roi perse qui libère les Hébreux de la captivité à Babylone est, lui-aussi, appelé christ. On le voit, c’est un terme général qui qualifie ceux qui dirigent le peuple vers la délivrance et le salut. A notre baptême, nous avons tous reçu l’onction sainte qui fait de nous des christs, des personnes aptes à se diriger elles-mêmes vers le salut.
C’est l’occasion de nous poser la question : qui gouverne ? Qui gouverne notre cœur, notre vie ?
Le roi est celui qui incarne le gouvernement. C’est là sa définition. Gouverner c’est avant tout prendre des décisions, donner une direction à une action et finalement un sens à l’existence, au moins l’inscrire dans une certaine perspective. Et convenons d’appeler roi ou reine celui qui tient la barre, qui décide, qui gouverne.
Évacuons d’emblée le cas maladif de celui qui se prend pour le roi, qui considère le gouvernement essentiellement sous l’angle de la reconnaissance et des égards qu’il reçoit parfois – « ceux qui aiment les premiers rangs dans les assemblées » dira l’Écriture – qui demandent avant tout à être reconnus, à être servis, à être obéis ; qui veulent le pouvoir non pour ce qu’il permet mais pour ce qu’il représente. Se prendre pour le roi dénote une stratégie immature pour compenser une médiocrité que l’on se connaît. C’est du camouflage.
Qui gouverne ma vie ? Quelles sont la ou les personnes qui m’incitent à telle ou telle direction ? Qui dirige le sens que prend mon existence ? Qui lui donne son sens ultime ?
Beaucoup diront peut-être : finalement, le roi c’est moi. Je suis le maître de mon existence. Je me sens fondamentalement libre ; je fais ce que je veux ; je suis le roi. C’est moi qui gouverne ma vie.
C’est un peu simple, je trouve, de s’affirmer le roi, de se penser pleinement en charge de sa destinée, d’espérer avoir totalement le gouvernail de sa vie en main. Il y a des choix libres pour tous, c’est certain – et Dieu nous veut libres. Mais il y a des choix contingentés, des choix orientés – par d’autres ou par les événements – et il y a aussi des directions qui nous sont imposées, parfois contre notre gré.
Qui gouverne ?
Le monde, l’État, la société, notre entourage exercent sur nous une influence, parfois avec poids. Beaucoup de décisions que nous prenons le sont en fonction de notre environnement et même de la pensée d’autrui.
Qu’est-ce qui oriente mon affectivité ? Moi ? Qui détermine la direction que prend mon cœur ? D’où me viennent tel ou tel attrait ? De ma propre décision ? D’où viennent mes centres d’intérêts, mes préoccupations ? De ma seule liberté ou la vie qui a été la mienne, les personnes qui ont eu sur moi une influence les ont-elles contingentées, orientées ? Les opportunités qui me sont offertes dépendent en grande partie des circonstances : on ne choisit ni ses parents, ni sa famille, ni la culture dans laquelle on naît.
Qui gouverne ma vie ? Qui gouverne mes choix ?
Si les marques font de la publicité c’est que ça marche. C’est d’ailleurs prouvé. Les discours que nous recevons ont pour but de nous convaincre ; pas toujours en dialogue. Beaucoup d’idées, de concepts, de stéréotypes nous sont imposés. Par la culture ambiante, par les médias, aussi par nos proches. La fabrication du consentement – en fait son orientation – est devenue une science dont se servent désormais les politiciens, les économistes, les stratèges.
Qui gouverne ce à quoi je pense ?
Les idées sur lesquelles votre cerveau sautille actuellement : ce sont les miennes. Ce sont mes mots auxquels votre cerveau attache son attention. Le fil de pensée qui est le vôtre pour l’instant qui le dirige ? Vous ? Moi ? Les deux ?
Et même lorsque je me prends personnellement en charge, il m’arrive de m’aveugler, de me tromper, de me mentir même parfois. Qui gouverne alors ? Mon inconscient ?
Alors répondons à toutes ces questions.
Dieu nous a créés libres et la liberté que je prends est celle de vouloir le bien. Comme nous tous ici, je l’espère, je me donne la direction du bien – de manière presqu’abstraite et ainsi plus librement.
Le bien que je désire : c’est l’amour. Et je le désire tellement que je l’érige en puissance de gouvernement pour ma vie. C’est l’amour – ici aussi dans ce qu’il a d’absolu, et libre – qui oriente et dirige ma vie.
Il se trouve que l’amour est toujours une personne.
Dans le mesure où le Christ, incarne pour nous, l’amour personnel de Dieu qui vient à notre rencontre, alors oui : je souhaite qu’il soit pour moi le roi, cette personne qui gouverne ma vie avec une puissance qui me dépasse. Avant tout autre – la société, l’époque ou celles et ceux qui m’entourent – c’est lui, l’amour parfaitement incarné de Dieu, que je souhaite voir orienter tout mon univers.
Notre baptême a fait de nous des « christ-roi », des personnes qui, munies de l’Esprit-Saint, sont capables de se gouverner elles-mêmes. Ainsi la personne qui gouverne le chrétien c’est lui-même, en dialogue avec Dieu.
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.