Évangile de Luc 21, 5-19
Le jour du Seigneur
Avez-vous entendu parler de la « collapsologie » ? Du latin collapsus – évanouissement –, c’est la science des effondrements. C’est aujourd’hui très à la mode. C’est elle qui étudie l’effondrement des espèces, mais aussi des économies et, au-delà, de nos modes de vies et civilisations. Il y a, derrière la notion de collapsologie, la crainte d’un château de carte qui s’écroule.
Les lectures d’aujourd’hui sont un traité de collapsologie, qui parlent du « Jour du Seigneur », de la fin des temps, de l’Apocalypse, de l’effondrement final de tout ce qui ne résiste pas face à Dieu.
Les livres d’Histoire nous racontent les récits de civilisations qui se sont effondrées, d’époques millénaristes où tous pensaient la fin des temps arrivée. On pense aux grandes invasions, aux grandes famines, aux grandes pestes. On pense aux guerres mondiales. On pense peut-être à aujourd’hui où le dérèglement climatique inquiète.
Si on est loin d’atteindre encore la crainte suscitée par la peste noire, quand en quelques mois l’Europe a perdu la moitié de ses habitants – il faut imaginer ce que c’est : voir mourir autour de soi une personne sur deux ! – si on est loin de la panique suscitée par l’arrivée de la peste, ou de la guerre, aujourd’hui beaucoup s’inquiètent d’un prochain effondrement, sinon de l’humanité, en tous cas de nos modes de vies.
Notre religion croit qu’il y a une fin des temps. Le Christ affirme qu’elle sera précédée de violents combats, même de persécutions ; et qu’elle sera le lieu de la Révélation de qui nous sommes vraiment. C’est ça le jugement final, le « jour du Seigneur » : lorsque, dans le combat pour la Vie, nous apparaissons finalement tels que nous sommes.
Elles révèlent la nature des hommes les pestes, les famines, les guerres et les persécutions quand elles arrivent. Au fur et à mesure que s’approchent les catastrophes, les comportements changent. On a des récits terribles d’actes atroces lors des grandes peurs collectives : que ce soit une invasion, une épidémie ou tout cataclysme qui s’annonce. Toujours, l’odeur de la fin révèle la nature humaine.
C’est exactement le sens du mot Apocalypse, qui ne signifie pas d’abord toute une série de catastrophes, de guerres ou de combats. Apocalypse, littéralement, signifie Révélation : du grec apokálupsis – enlever le voile, dévoiler. L’Apocalypse c’est avant tout la Révélation de la véritable nature humaine – celle du Christ et la nôtre – dans le combat final pour la vie.
On se doute bien que face aux tensions les plus vives, notre humanité en effet se révèle. C’est le cas des immenses joies de la vie : la naissance d’un enfant ou d’ une relation d’amour. C’est le cas hélas des circonstances les plus tragiques, des catastrophes, des épidémies, des guerres, de la mort quand elle survient, individuellement ou en masse. L’Apocalypse ce n’est pas d’abord un ensemble d’événements terribles ; l’Apocalypse c’est la révélation des comportements humains face à de tels événements.
Finalement, face à des catastrophes, c’est la nature du Christ en nous qui se révèle, comme elle se révèle sur la Croix, face à la persécution et à la mort. Si confrontés à une guerre qui s’annonce, vous prônez l’amour fraternel, si voyant surgir la famine vous persister à défendre le partage équitable, si quand survient une épidémie vous continuez à vouloir embrasser le lépreux, c’est sûr : on va vous persécuter. Même au sein de nos communautés, de nos familles si, face à l’ennemi qui nous assaille, nous prêchons encore l’amour, il s’en trouvera pour vouloir nous faire taire, et peut-être nous livrer à la mort.
Le Livre de Malachie présente le jour du Seigneur, c’est à dire Dieu qui se révèle à la fin des temps, comme un Soleil brûlant qui se lève, consumant comme la fournaise les arrogants – c’est-à-dire les impies – et guérissant de son rayonnement ceux qui craignent Dieu – c’est-à-dire les fidèles qui gardent ses commandements.
Mais qui ici ne se sent pas parfois arrogant ? Qui ici peut prétendre être resté fidèle, en toutes circonstances, au commandement d’aimer ? Et comment réagirions-nous face à l’imminence d’un cataclysme, d’une guerre ou d’un effondrement de masse ? Même préoccupés par l’état climatique de la planète, nous sommes loin d’un état de panique généralisé, où le frère dispute le pain au frère et les gens s’entre-tuent pour survivre. Mais face à la mort qui s’approche, face au combat pour la vie, serons-nous de ceux que terrorise la peur ou de ceux qui maintiendront jusqu’au bout l’amour ? Serons-nous des lâches ou des justes ? Avez-vous déjà été confrontés à un moment de panique ?
Être arrogant, c’est avant tout se croire supérieur – supérieur aux autres et supérieur à Dieu. Et que ça nous arrive à tous, parfois, de nous croire supérieurs. C’est précisément cette arrogance que l’Apocalypse vient dramatiquement révéler, car il arrive toujours un moment où la mort gagne et notre supériorité s’effondre. A mesure que nous y avons cru, ce sera la panique. Les arrogants d’aujourd’hui seront les lâches de demain face à l’adversité. Comme ce sont les humbles face à la mort, qui seront les forts au moment venu. Le Christ, en premier.
Tous nos Temples s’effondreront. Tous nos édifices aussi grands et beaux soient-ils tomberont en ruine, à commencer par l’édifice de notre propre vie. Le Temple, cette magnifique construction à la gloire du Dieu d’Israël, était à l’époque de Jésus flambant neuf et même pas encore totalement achevé : une merveille prête à rivaliser avec tous les édifices de l’Empire, à l’image de l’arrogance d’Hérode. Le Temple fonctionne ici comme l’image forte de tous nos édifices humains, de toutes nos constructions personnelles, de nos phantasmes spirituels.
Que viennent les catastrophes, la mort comme un fléau ou la fin des temps, et ils s’effondrent nos beaux idéaux sur la famille, la fraternité entre tous, et peut-être même le bel idéal que nous avons de nous-même. Que surgissent les malheurs, les famines et les guerres, que vienne la panique et nous verrons l’humanité s’effondrer. De quel coté serons-nous alors ? De celui des bourreaux, des arrogants apeurés ou de celui des victimes livrées à l’amour malgré tout ? Comment savoir ? Comment savoir comment moi, face à une situation apocalyptique, je réagirais ?
« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10) dit Paul aux Thessaloniciens. Face à l’ampleur des problèmes, l’oisiveté n’est pas acceptable. Comme le disait le pape François aux dernières JMJ, on ne peut plus être aujourd’hui un jeune qui reste affalé sur son divan. L’indice pour savoir comment nous nous comporterons en situation de grande détresse est notre volonté présente de ne pas rester passifs face aux défis du monde, aux urgences qui déjà se présentent à nous. Le Christ le dit à la fin de l’Évangile : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie.»
Et en effet, si nous voulons vivre, quels que soient les défis, les drames, les catastrophes et la mort même qu’il nous faudra affronter, si nous avons su ne pas être arrogants et laisser l’amour du Christ lui-même prendre à travers nous notre défense, malgré la souffrance ou les persécutions, nous entendrons alors Dieu, son Père, nous dire, comme le disait l’antienne de l’Évangile : « Redresse-toi et relève la tête, car ta rédemption approche ». Il n’y a que le Christ en nous qui résistera à l’effondrement de tous les temples.
Ce sera alors pour nous l’Apocalypse, la véritable Révélation à travers nous de la puissance d’aimer de Dieu. Il suffit de persévérer à simplement aimer. Jusqu’à voir dramatiquement s’approcher la mort, les guerres, les souffrances et même les persécutions : aimer.
Si vous persistez à aimer, et Dieu et l’humanité, quels que soient les défis qui se présentent à vous, vous n’aurez jamais peur – c’est cet amour qui parlera pour vous – et vous serez sauvés.
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.