8ème dimanche – Année C – 27 février 2022 – Évangile de Luc 6, 39 – 45

Évangile de Luc 6, 39-45

Conclusion du Sermon dans la Plaine

Le grand discours inaugural de Jésus s’adressait à tous (« la foule… ») mais Jésus le termine par un enseignement à ses « disciples » qui seront chargés de le vivre et de le répercuter partout. Très pédagogue, il le fait en « mode de parabole », c.à.d. en usant d’images qui s’inscriront mieux dans les mémoires. D’ailleurs plusieurs de ces sentences sont devenues universellement célèbres.

Parabole des Aveugles

Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?…
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître ».

La foi n’est pas une opinion privée et l’Église n’est pas un cercle fermé : la Bonne Nouvelle reste bien pour toujours le chemin du salut de l’humanité donc le disciple – sans intolérance et avec ses défauts et ses défaillances – assume illico le rôle de guide. La première condition est donc qu’il connaisse très bien le message à transmettre, qu’il « voit » la façon de le transmettre sans l’altérer.

L’histoire montre à suffisance combien de fois les disciples, même au sommet, ont mal interprété l’Évangile parce qu’ils étaient influencés par les idées ambiantes ou parce qu’ils voulaient en adoucir les aspérités. La Bonne nouvelle ne doit être ni imposée ni édulcorée. Donc exigence fondamentale de chaque chrétien : être formé, bien écouter le Maitre. Tout disciple doit être, à son niveau, en état de formation permanente afin que le monde aveugle ne bascule pas dans les fossés de la guerre et de l’injustice.

La grande carence de l’Eucharistie du dimanche n’est-elle pas dans la faiblesse de l’éducation des fidèles ? Lectures et prédication exigent beaucoup plus de soin dans une société où la culture change et s’étend.

Parabole de la paille et de la poutre

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? …Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?

Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Emporté par un mauvais zèle, le chrétien peut être tenté de croire que la mission est handicapée par le défaut de tel chrétien et de le juger sans indulgence. Faux comportement, hypocrisie, car cet homme est lui-même pécheur et donc il n’est pas lucide pour juger l’autre : il grossit chez l’autre un péché alors qu’il en porte lui-même des pires.

Jésus avec force nous répète que nous sommes « frères », mot répété à quatre reprises, que nous ne le sommes que grâce à Lui, et donc que nous ne pouvons nous condamner mutuellement. Que chacun d’abord s’applique à vivre cette « fraternité », à en être plus digne, à répondre mieux à sa vocation personnelle. L’avancée dans la foi rend miséricordieux à l’égard de tout frère et sœur.

Parabole des arbres

Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »

Dans la langue de Jésus, le mot cœur, pris en symbole, ne désigne pas le lieu des émotions et des affections mais effectivement « le cœur », le centre profond de la personne, là où elle réfléchit, médite, élabore raisonnements, décisions, sentiments. Là se réalise son projet de vie.

Bien et mal, les tendances s’affrontent en nous, en notre « cœur ». Mais celui qui se laisse dominer par la jalousie, la violence, l’appétit de lucre, l’ambition – bref celui qui a un cœur mauvais – émettra des jugements féroces, s’emportera dans des colères haineuses, favorisera l’injustice, restera indifférent au sort des malheureux.

Le trésor, c’est la bonté de notre cœur. Elle s’obtient par la foi véritable, l’espérance ailée, la chaleur de la charité. Le bon exemple, la patience, la production de bons fruits et surtout la prière soutiendront l’effort de conversion réciproque.

Parabole des maisons et Conclusion du Discours

Malheureusement la liturgie du jour omet la dernière parabole qui concluait ce grand enseignement par une mise en garde « fondamentale » (c’est le cas de le dire). La voici.

Et pourquoi m’appelez-vous « Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ?

Quiconque vient à moi et écoute mes paroles et les fait (met en pratique), je vais vous montrer à qui il ressemble.

Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison,

mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.

Mais celui qui a écouté et n’a pas fait(mis en pratique)

ressemble à celui qui a construit sa maison à même le sol, sans fondations.

Le torrent s’est précipité sur elle, et aussitôt elle s’est effondrée ;

la destruction de cette maison a été complète. »

Répétons-le encore : la foi n’est pas un décor religieux, un vernis, un héritage familial, une pratique épisodique de quelques rites. L’Évangile est de fait, et tout de suite ici sur terre, « Bonne Nouvelle » parce que son acceptation et sa mise en pratique permettent l’édification de l’homme dans la vérité de sa vie. Il y a des moments où le croyant doit opter, faire un choix difficile. Il arrive que des membres de sa famille, des enseignants ou des copains de son école, des collaborateurs de son entreprise, la majorité des médias affirment des certitudes contraires, ricanent au sujet de ce « christianisme » dépassé et en voie de disparition. Ce n’est pas le moment de capituler, de se calfeutrer dans un silence complice. Le choix est inéluctable et peut entraîner non seulement des gênes mais des pertes financières.

Notre vie est comme une maison que nous construisons par nos choix et son fondement réside dans nos ACTES. Ce ne sont pas nos sentiments pieux, notre goût du sacré qui nous feront tenir droits dans la foi lorsque les épreuves s’abattront. Car elles surviendront tôt ou tard et parfois avec une force torrentielle.

L’exemple en est la société moderne et post-moderne : elle n’a pas persécuté les chrétiens, les États ont continué à verser des subsides, à sauver des édifices. Mais en quelques dizaines d’années, des centaines de millions de pratiquants du monde occidental ont abandonné toute croyance et toute pratique. Et l’hémorragie continue inexorablement. L’irrépressible envie de jouir, de posséder, de se distraire, de voyager, excitée sans arrêt par la publicité et les médias, lamine et torpille une foi qui n’est que vague religiosité. Sous les attaques, nous ne tiendrons pas par nos édifices sacrés et nos institutions chrétiennes mais par notre persévérance à mettre en pratique l’Évangile. Nos ACTES, si petits soient-ils, constituent un socle, une fondation inébranlable sur laquelle se brise le tsunami des contradictions.

Déjà saint Jacques mettait en garde contre une écoute passive :

« Que chacun soit prompt à écouter …Accueillez avec douceur la Parole plantée en vous et capable de vous sauver la vie. Mais soyez les réalisateurs de la Parole, et pas seulement des auditeurs qui s’abuseraient eux-mêmes.

En effet si quelqu’un écoute la Parole et ne la réalise pas, il ressemble à un homme qui observe dans un miroir le visage qu’il a de naissance : il s’observe, il part, il a tout de suite oublié de quoi il avait l’air.

Mais celui qui s’est penché sur la Loi parfaite, celle de la Liberté et s’y est appliqué non en auditeur distrait mais en réalisateur agissant, celui-là trouvera le bonheur dans ce qu’il réalisera ». (Jac 1, 19-35)

Conclusion

Petites paraboles simples mais d’une importance essentielle. A méditer pendant toute cette semaine car elles pointent nos comportements quotidiens.

Former sa foi, voir le frère et non le concurrent, enrichir le trésor du cœur, pratiquer ce que l’on a appris. Ainsi nous ne serons pas une Église hypocrite.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

La fin de la chrétienté

CHANTAL DELSOL

Chantal Delsol est philosophe, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Dans ses derniers essais, Le Crépuscule de l’universel (Cerf, 2020) et La Haine du monde, Totalitarismes et postmodernité (Cerf, 2016), elle décryptait la discorde entre les modernes et les antimodernes, entre ceux qui veulent remplacer le monde existant et ceux qui veulent le cultiver comme des héritiers. Poussant plus loin l’analyse, la philosophe s’attaque dans La Fin de la chrétienté aux conséquences du déclin du catholicisme en Occident avec le retour du paganisme. Pour elle, le christianisme doit inventer un autre mode d’existence.

Aleteia : la chrétienté, expliquez-vous est une civilisation contrairement au christianisme. Si la première est finie, le second peut perdurer. Qu’entendez-vous par chrétienté et civilisation ?


Chantal Delsol 
: la chrétienté est cette civilisation, autrement dit ce système du monde, qui a été constitué autour et sous la houlette du christianisme, puis du catholicisme. Il s’agit d’un mode d’être à la fois total et cohérent : il sous-entend en même temps la croyance religieuse, les mœurs, la morale, les lois, les types de pouvoir, les types de famille et la sociologie, etc. Et dans ce cadre, tout est cohérent : par exemple le pouvoir politique correspond avec la définition de Dieu (la démocratie est inventée en Occident parce que nous avons un Dieu qui confère la liberté à l’homme, sa créature).

Chaque civilisation est à cet égard un ensemble cohérent. Ainsi le christianisme a-t-il construit le monde qui lui convenait, comme l’islam-religion a construit l’islam-civilisation. Dans la chrétienté-civilisation, c’est le christianisme, puis le catholicisme, qui impose ses lois et ses mœurs, qui conseille les puissants, qui apporte ses modèles de pouvoir et de vie. C’est cette influence-pouvoir qui est aujourd’hui effacée.

  • Quand a commencé l’agonie de cette civilisation ?

Elle commence à s’effacer avec la Renaissance et probablement avant, quand l’anthropologie et la cosmologie chrétiennes commencent à être mises en doute, par exemple chez Montaigne. Mais le moment de remise en cause est le XVIIIe siècle avec la pensée des Lumières, puis la saison révolutionnaire qui met en place les réformes et les lois correspondantes. À partir de là, l’Église est en position défensive et tente de conserver son influence, avec de plus en plus de difficultés.

  • Quelles sont les principales causes de l’agonie de la chrétienté ?

Le terme « cause » lui-même est polymorphe. Il y a des causes lointaines et des causes de toutes sortes. Au plus loin, je crois qu’une vision du monde qui apporte l’idée d’une « vérité », laisse forcément émerger l’idée de « doute », et par conséquent se constitue d’avance une armée d’opposants. Dans les autres cultures, qui se construisent autour de mythes et non autour de vérités, il ne peut y avoir place au doute (on ne va pas contester l’existence d’Achille, qui est un mythe ni-vrai ni-faux, tandis qu’on va avoir envie un jour ou l’autre de contester l’existence du Christ, établie comme vérité). Le christianisme contient sa contestation. L’esprit des Lumières, c’est cela. Et c’est en même temps une évolution culturelle et sociologique individualiste, qui s’oppose à un dogme chrétien holiste. Où l’on voit la dissociation entre catholiques et protestants. Le catholicisme ne peut pas accepter l’évolution individualiste des Lumières parce qu’il est, dans ses dogmes mêmes, holiste. C’est probablement pourquoi la fin de la chrétienté correspond à un effondrement du catholicisme, pendant que l’évangélisme par exemple, se porte très bien — il englobe la modernité et ne la conteste pas, il accompagne les temps au lieu de se raidir contre eux.

  • Quelles nouvelles croyances remplissent le vide laissé par la chrétienté ?


Il y a forcément un déploiement d’autres religions, parce que l’homme est un animal religieux, et le christianisme devenu minoritaire ne laisse pas la place au nihilisme, mais à d’autres religions qui sont des religions de la nature, celles qui éclosent pour ainsi dire toutes seules, qui sont naturelles et instinctives. On peut les appeler des paganismes parce que cela renvoie aux religions naturelles que le christianisme a remplacé dans les premiers temps. Mais c’est un mot un peu trop général, aussi j’ai préféré parler de cosmothéisme (pour éviter le mot panthéisme qui est chargé de connotation négative depuis le début du XIXe siècle). Il s’agit en tout cas d’adorations de la nature sous tous leurs modes, à partir de l’écologie qui se transforme lentement en religion — elle en comporte déjà tous les aspects et toutes les manifestations.

  • « Une civilisation, écrivez-vous, ne se sauve pas. » Quelles conclusions doivent tirer les chrétiens de ces profonds changements ? Doivent-ils se recentrer sur l’exemple et le témoignage ?


J’ai surtout essayé de montrer qu’une civilisation ne se sauve pas avec la force et la violence, contrairement à ce que pensaient nos pères. On ne fait pas la guerre pour sauver une civilisation, enfin c’est ainsi que je vois les choses. De plus, je crois qu’il y a une contradiction entre une religion de l’amour et une évangélisation par conquête. Les conquêtes chrétiennes de l’histoire me laissent profondément mal à l’aise, même si je suis persuadée que nous n’avons pas à juger nos ancêtres avec nos critères d’aujourd’hui.

En tout cas, tels que nous sommes maintenant, nous avons à user pour l’évangélisation de la seule « arme » légitime : l’exemple et le témoignage, en effet. Que devons-nous abandonner pour cela ? L’impatience ! L’évangélisation de conquête était pressée — peut-être pour baptiser le plus de monde possible ? peut-être parce qu’on pensait la fin des temps proche ? peut-être parce que, quand même, le désir de pouvoir se mêlait à tout cela ? Nous n’avons pas à être impatients.

Regardez les moines de Tibhirine : ils s’installent là, sans faire de bruit, ils soignent la population musulmane et ils prient, en s’avançant tranquillement vers la fin des temps. Voilà ce qui nous reste à faire. Nous sommes-nous demandés pourquoi tant de monastères se portent si bien pendant que le Vatican se porte si mal ?

Propos recueillis par Laurent Ottavi. -publié dans Aleteia le 07/02/22

Éd. du Cerf – 16 euros.

7ème dimanche – Année C – 20 février 2022 – Évangile de Luc 6, 27-38

Évangile de Luc 6, 27-38

Que signifie l’amour des ennemis ?

« Heureux vous les pauvres !…Aimez vos ennemis » : le grand discours où Jésus propose la manière de vivre selon le Royaume qu’il inaugure dès maintenant sur terre fait entendre d’emblée des déclarations stupéfiantes sinon scandaleuses voire impossibles à observer, diront certains. Comme le disait frère Laurent, il faut bien lire pour comprendre les paradoxes évangéliques.

La lecture liturgique a heureusement fait une correction importante concernant l’auditoire: Jésus ici ne s’adresse pas à « la foule » mais « aux disciples qui l’écoutaient » c.à.d. non aux curieux qui ne cherchent que des miracles et des guérisons mais à des personnes qui ont déjà décidé d’écouter attentivement les enseignements de Jésus et qui sont décidées à les mettre en pratique. Or ces « disciples » sont très minoritaires, forment de petits groupes couverts de sarcasmes et de critiques, parfois menacés, combattus, dénoncés au pouvoir. Les « ennemis » sont donc des majorités qui rejettent Jésus et son programme, qui cherchent la disparition de ses disciples. Le rapport « disciple » et « ennemi » se joue donc au niveau de la foi.

C’est toujours la Parole de Jésus que nous avons à écouter, à méditer, à approfondir afin qu’elle renforce nos convictions, nous donne la force de résister aux attaques et nous permette de répliquer de manière juste à nos détracteurs. Quelle est cette manière ? Comment incarner l’amour des ennemis ?

Sept manières d’aimer les ennemis

Jésus déclarait à ses disciples :

« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis.
Faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
Priez pour ceux qui vous calomnient.
A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. (à raccrocher aux 6 précédents)


Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.

L’amour, ce mot si ambigu, ne désigne pas ici des manifestations affectueuses mais des actes très précis, très décidés, très réalistes : faire du bien à celui qui nous fait du mal, ne pas dire du mal de celui qui nous injurie. Surtout – moyen indispensable afin de pouvoir adopter ce comportement : la prière ! Cet « amour » nous paraîtra à jamais impossible si nous ne demandons pas à l’Esprit Saint la force de nous convertir et d’adopter des comportements tout à fait différents que ceux qui nous tentent.

Au lieu de nous laisser emporter par la colère et de nous venger des avanies subies, il nous faut retourner nos décisions : qu’est-ce que j’aime que l’on me fasse ? eh bien je vais le faire à l’autre. Dur combat : un attrait au lieu d’un rejet, un sourire avenant au lieu d’une répartie féroce.

Les Disciples se distinguent

Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
 Au contraire, aimez vos ennemis, Faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.

« Les autres le font bien » : la pression sociale est toujours énorme surtout dans notre monde qui apprend à ne pas se laisser faire, à faire valoir qui l’on est, à poser des croche-pieds, à imposer sa propre personnalité.

Le disciple, malaxé par la Parole de Jésus, instruit par l’Évangile, apprend que « porter sa croix » n’est pas d’abord se priver d’une friandise ou s’inventer une petite pénitence mais, de façon bien plus dure, rompre avec l’escalade des violences et oser être « autre ». Si les chrétiens n’ont pas d’autres attitudes que le tout-venant, à quoi sert l’Évangile ?

La Miséricorde pour être Fils de Dieu

Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. 

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Dieu offre les bienfaits de la terre à tous : il est miséricorde. En l’imitant, le disciple devient Fils de Dieu. Il est sûr que le pardon qu’il accorde à son ennemi lui revient sur lui-même car Dieu le traitera de la façon qu’il a traité l’autre. Sommes-nous accablés par le poids de nos péchés, voulons-nous être certains que Dieu nous fera miséricorde ? Commençons tout de suite à pardonner à nos ennemis.

Et ne cessons pas de prier : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Un regard sur le crucifié qui donne sa vie pour moi entraînera mon imitation.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

« Aimez vos ennemis »

par Aelred de Riévaulx, abbé cistercien (+ en 1167)

« Rien ne nous encourage tant à l’amour des ennemis, en lequel consiste la perfection de l’amour fraternel, que de considérer avec gratitude l’admirable patience de Jésus en croix….

Il a supporté patiemment la croix, les clous, la lance, demeurant plein de douceur et de sérénité. Il s’est tu comme un agneau devant celui qui le tondait.

« Père, pardonne-leur » : en entendant cette admirable parole, pleine de douceur, d’amour et d’imperturbable sérénité, que pourrait-on ajouter à cette charité ?

Le Seigneur ne se contenta pas de prier, il voulut aussi excuser : « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Ils sont sans doute de grands pécheurs, mais ils en ont à peine conscience. Ils crucifient mais ils ne savent pas qui ils crucifient…Ils pensent qu’il s’agit d’un transgresseur de la Loi, d’un usurpateur de la divinité, d’un séducteur du peuple.

Pour apprendre à aimer, que l’homme ne se laisse donc pas entraîner par les impulsions de la chair. Et afin de n’être pas pris par cette convoitise, qu’il apporte toute son affection à la divine patience de la chair du Seigneur.

Pour trouver un repos plus parfait et plus heureux dans les délices de la charité fraternelle, qu’il étreigne aussi ses ennemis dans les bras du véritable amour.

Mais afin que ce feu divin ne diminue pas à cause des injures, qu’il fixe toujours les yeux de l’esprit sur la sereine patience de son bien-Aimé Seigneur et Sauveur »

Denis Mukwege, Docteur et Pasteur – Prix Nobel de la Paix 2018

« L’homme qui répare les femmes »
(suite et fin)

  • Avez-vous hésité, par moments, à raconter ces crimes ?

Non, je n’ai pas hésité. La violence ne connaît pas aucune limite et il faut l’affronter…Le silence est l’arme absolue des bourreaux. Il ne faut jamais cesser de dénoncer. Après, à titre personnel, tout cela m’a bouleversé, j’ai tellement pleuré…Au fil du temps, j’ai fini par me dire qu’une émotion qui n’est pas suivie d’action ne sert à rien. Nous devons canaliser notre tristesse, notre dégoût, notre colère pour les transformer en action. C’est tout le sens de mon engagement.

  • Votre foi n’a jamais vacillé devant ces abominations ?

Non, jamais. Car le Dieu auquel je crois laisse entier notre libre arbitre. Chacun de nous est et reste pleinement responsable de ses actes. Pour moi, l’essentiel, c’est de mettre l’être humain au centre, et donc l’amour. A mes yeux, c’est vraiment le socle sur lequel on peut bâtir un monde plus juste et plus égalitaire. « Aime ton prochain comme toi-même ». Pour moi tout est là. Après, vous pouvez appeler cela une religion, une philosophie, un mode de vie…peu importe. Mais c’est ce qui guide ma conduite.

  • Votre liberté de ton dérange. Vous avez échappé à six tentatives d’assassinat. Vous dites-vous parfois que le prix à payer est trop lourd ?

Le plus marquant pour moi reste la tentative d’assassinat à laquelle j’ai échappé en 2012 et au cours de laquelle mon garde du corps a perdu la vie. A partir de là, j’ai décidé de m’exiler à Boston aux USA. Je ne voulais pas être un héros mort mais un homme vivant.

  • Vous êtes pourtant vite revenu en RD du Congo ?

Oui. Un groupe de femmes de mon pays a en effet écrit au secrétaire général des Nations Unies et au Président de la République. En vain. Alors ces femmes se sont portées volontaires pour assurer ma sécurité et elles se sont mis en tête de vendre des fruits et légumes pour me payer un billet d’avion de retour. Vous imaginez ? Elles vivent avec moins d’un dollar par jour mais elles se cotisent pour me faire revenir ! A partir de là, je suis rentré, c’était plus fort que moi. J’ai la chance d’avoir une épouse exceptionnelle, Madeleine, et elle était partante pour me suivre…

  • Il n’empêche, vous êtes toujours menacé de mort. Comment vit-on avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?

Ne pas avoir peur ne serait pas humain. Donc oui j’y pense bien sûr. Aujourd’hui j’ai élu domicile dans l’hôpital de Panzi qui est protégé par des soldats de l’ONU. C’est sûr mais très contraignant. Cela fait neuf ans maintenant que je ne peux plus aller voir mes amis chez eux, que je ne me rends plus au restaurant….Mais ce n’est rien face à la douleur de mes patientes. Tant que je peux, je dois tout faire pour elles…Je suis persuadé que le bien que l’on fait nous revient à un moment donné. C’est en tout cas le monde tel que je rêve. »

Interview (extraits) dans « La Croix » du dimanche 5 12 2021


Tout téléphone portable est marqué de sang. Acheter et diffuser le livre du Dr Mukwege, c’est participer à la lutte pour la justice.

« J’ai été amené à prendre en charge des milliers de femmes congolaises, toutes abominablement violées ou mutilées. Et ce sont les mêmes qui ensuite font preuve d’un courage inouï pour s’en sortir. Certaines se sont lancées dans de longues études… Leurs violeurs pensaient les anéantir… Et non ! Si ces femmes n’abandonnent pas, comment le pourrions-nous, nous-mêmes ? …

« Leur résilience et leur courage nous montrent à tous la voie.»

Éd. Gallimard- 20 euros.

6ème dimanche – Année C – 13 février 2022 – Évangile de Luc 6, 17.20-26

Évangile de Luc 6, 17.20-26

Béatitude

C’est impressionnant comme l’enseignement de Jésus est truffé de paradoxes : les premiers seront les derniers et les derniers premiers ; il faut aimer ses ennemis, ceux qui vous crucifient ; sans parler de son regard sur la Loi, qu’il n’applique bien souvent pas. L’Évangile nous propose quantité d’images et de situations paradoxales : faire passer un chameau par le chas d’une aiguille, marcher sur l’eau, s’élever dans les cieux …

A bien y réfléchir, si on applique à la lettre l’affirmation « les derniers seront les premiers et les premiers derniers », on voit se mettre en place une étrange dynamique, une sorte de mouvement perpétuel où les premiers sont toujours renvoyés à la dernière place et les derniers au premier rang (et donc à la dernière place, et donc au premier rang, etc.). On comprend bien vite que ce n’est pas ce que le texte veut dire, que derrière l’absurde de cette dynamique perpétuelle, il y a un sens plus profond à trouver ; que ce n’est pas une question de place mais avant tout une question d’intention. Le conflit intérieur que cette image dénonce c’est l’envie, qu’il nous arrive peut-être d’avoir, de nous mettre en avant, d’être le premier, qu’elle oppose à l’humilité de préférer laisser sa place aux autres.

Le problème d’un paradoxe c’est qu’on peut facilement le comprendre à l’envers, à contre-sens. Par exemple, on trouve des gens qui se mettent délibérément à la dernière place dans la file pour communier, qui retournent ainsi à l’interprétation littérale, en termes de position. Ce sont des personnes qui se mettent à la dernière place avec l’intention d’être finalement les premières. Le paradoxe est ici criant avec l’enseignent du Christ. C’est finalement de l’orgueil déguisé en humilité. On comprend dès lors que la solution du paradoxe des premiers qui seront derniers et vice versa n’est certainement pas celle-là. Qu’il s’agit en fait de rester chacun à sa place, avec le désir humble de la céder volontiers. Et on touche ici à l’incarnation du Christ en nous. Finalement, celui qui doit prendre notre place, c’est nous-même, muni de la plénitude de l’Esprit Saint.

Le coté absurde d’un paradoxe nous invite toujours à en chercher le sens au-delà. En soi, un paradoxe ne dit rien d’intelligible, de sensé. Essayez donc de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille ! Dans un récit, un paradoxe est toujours là pour heurter notre manière de raisonner, pour que nous arrêtions le fil de la lecture, pour nous faire réfléchir d’avantage à la situation.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, dans les béatitudes en général, on trouve quantité de paradoxes. Comment est-il possible d’être heureux en étant pauvre, quand on voit le coût humain de la pauvreté ? Comment peut-on être heureux d’avoir faim ou de pleurer ? Comment peut-on se sentir heureux d’être haï, exclu, insulté ou rejeté ?

Parce que si on lit cet Évangile à la lettre, il s’agit bien d’être heureux maintenant ! Heureux tout en ayant faim ; heureux tout en étant triste ; heureux tout en étant rejeté. Vous éprouvez de la joie vous quand on vous méprise, vous ? Pire, n’est-ce pas la porte ouverte à toutes sortes de dérives, de mésestime de soi, d’autoflagellations ? Il ne faut en effet pas beaucoup pousser le sens paradoxal des paroles du Christ pour penser qu’il veuille dire : « soyez heureux de souffrir. » C’est ici que le paradoxe heurte notre logique. Et c’est donc ici qu’il faut réfléchir plus avant.

On pourrait penser que la solution se trouve directement dans la suite du texte : « Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel. » Mais on n’est pas tellement plus avancés. Est-ce simplement la perspective d’arriver un jour au ciel qui nous oblige de nous réjouir des malheurs qui nous arrivent ? N’envisage-t-on pas là encore à une théologie dangereuse, qui cède le flanc au dolorisme ? Est-ce cela que le texte veux dire : vos souffrances seront récompensées ?

La solution se trouve dans le fait de ne pas voir la récompense au futur, de ne pas voir le ciel lointain, au-delà de l’instant présent mais au contraire tout proche, hic et nunc. Nous l’avions déjà remarqué : la citation du Christ parle au présent : « Ce jour-là – aux jours de tristesse, de faim ou de mépris – ce jour-là, votre récompense est grande dans le ciel. »

Il y a une joie à trouver, plus profonde que tous nos malheurs. Il y a une béatitude à trouver qui surpasse tous les aléas de la vie. C’est cette joie profonde, accessible dès ici-bas, dont nous parle ici le Christ. On n’est pas plus heureux parce que l’on est pauvre, que l’on a faim ou que l’on endure le mépris ! On n’est pas plus récompensé parce que l’on souffre !

Mais il y a une proximité avec Dieu à trouver dès à présent, une conscience de sa présence à nos cotés et de son amour infini à maintenir en toutes circonstances, qui permettent d’endurer la souffrance et les malheurs le cœur infiniment plus léger. Il y a une proximité avec l’Esprit Saint possible dès maintenant qui donne le sentiment d’être déjà au ciel. Il y a une vie mystique avec le Christ qui permet d’endurer tout jusqu’à, malgré la souffrance et paradoxalement, susciter toujours le sentiment de la joie – la joie d’être, malgré tout, aimé plus que tout au monde par Dieu.

Si votre foi vous permet d’encaisser le mépris et les insultes, la pauvreté et la faim, alors oui vous êtes heureux, définitivement armé face aux aléas de la vie.

La joie que promettent les béatitudes n’est pas celle d’une récompense à venir. Elle est celle d’un don préalable, celui de la rencontre mystique avec le Christ possible dès maintenant et qui change tout.

Heureux es-tu si tu as la foi suffisante pour affronter le mépris.
Heureux es-tu si tu as la foi suffisante pour affronter la maladie.
Heureux es-tu si tu as la foi suffisante pour faire face à toutes les pauvretés.
Car ton cœur déjà est dans le ciel.

— Fr. Laurent Mathelot OP

Denis Mukwege, Docteur et Pasteur – Prix Nobel de la Paix 2018

Rencontre avec une force d’âme

Mondialement célèbre pour son combat en faveur des femmes violées, il est protégé jour et nuit par des soldats ONU. dans son hôpital de Pana (Rép. Démo. du Congo), cible de toutes les mafias.

  • Comment en êtes-vous arrivé là ?

La guerre menée contre le corps des femmes de mon pays n’a pas été perpétrée par des armées de psychopathes…Non tout cela est pensé, voulu, totalement délibéré….C’est dans ce contexte que je me suis mis à faire de la gynécologie réparatrice pour les femmes violées…Nous avons accueilli ici à Panzi, depuis l’ouverture, plus de 60.000 victimes de violences sexuelles…

  • Comment expliquer ce fléau ?

Au début il s’agissait de miliciens issus des rangs de rebelles congolais. Puis l’armée congolaise versa ensuite dans les mêmes horreurs, tout comme les groupes dits « d’autodéfense »…Pratiques que l’on retrouve à toutes les époques…S’y ajoute chez nous la dimension économique : les milices recourent au viol pour terroriser la population et la pousser à des déplacements afin de préempter les terres les plus riches…

  • Donc l’abondance de minerai est le pire ennemi de la RD-Congo ?

Absolument. La richesse de notre sous-sol, qui devrait être une source de revenus, nous expose aux pires exactions. J’appartiens à l’un des pays les plus riches de la planète mais mon peuple, lui, fait partie des plus pauvres du monde. Cela 25 ans que l’on tue, qu’on viole, que ses minerais partent vers le Rwanda et l’Ouganda pour transiter vers la Chine et inonder la planète. Le Congo est parmi les tout premiers producteurs au monde de cobalt et de coltan….Il n’y a pas de téléphone portable qui n’implique les terres rares congolaises. Mais les exactions qui nous ravagent depuis 25 ans laissent le monde indifférent. Il s’agit pourtant du conflit le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale : plus de 5 millions de personnes mortes ou disparues. Qui en parle ?

  • Que reprochez-vous à la Communauté internationale ?

De fermer les yeux. Des législations ont été adoptées ici ou là sur le commerce ses armes…Mais elles sont allègrement contournées ! Et les gains en jeu sont tels que tout le monde préfère fermer les yeux, ce qui revient à être complice !

  • D’où vient votre vocation ?

Un jour, j’accompagnais mon père, pasteur, au chevet d’un bébé gravement malade. Mon père a dit qu’il prierait pour lui, et nous sommes partis comme cela, sans qu’aucun médicament ait pu être administré. Sur le chemin du retour, je lui ai dit : « Eh bien moi, je serai médecin ». Tout est parti de là. J’avais 8 ans.

  • Vous êtes devenu médecin mais aussi pasteur. Vous n’opposez donc pas soins et prières ?

Je les vois comme complémentaires. Le malade doit être soigné mais le soutenir psychologiquement, voire spirituellement, s’avère aussi très important. On a tous besoin d’une force qui nous pousse à aller de l’avant et qui, le cas échéant, participe à notre guérison. Et ça manque d’ailleurs très souvent…

  • Vous êtes venus à Angers pour faire votre spécialité en gynécologie. Avez-vous été tenté de vous installer en France ?

Ah (rires). On me l’a proposé. Mon chef de service, un homme exceptionnel, m’a dit : « Vous êtes sûr de vouloir rentrer ? Pourrez-vous, au pays, offrir à vos enfants la même éducation ? »…C’était cornélien. J’avais décidé de faire gynécologie pour rentrer au pays et aider les Congolaises à accoucher. J’ai dit à mon épouse : moi je rentre et tu restes ici avec les enfants, je reviendrai tous les 6 mois…Finalement on est tous rentrés ensemble…Mon fils est médecin, ma fille est infirmière, mon autre fille termine sa cardio. Je les vois peu car ils vivent loin mais ils sont heureux.

Interview dans « La Croix » dimanche 5 12 2022
Extraits – à suivre.

« J’ai été amené à prendre en charge des milliers de femmes congolaises, toutes abominablement violées ou mutilées. Et ce sont les mêmes qui ensuite font preuve d’un courage inouï pour s’en sortir. Certaines se sont lancées dans de longues études… Leurs violeurs pensaient les anéantir… Et non ! Si ces femmes n’abandonnent pas, comment le pourrions-nous, nous-mêmes ? …

« Leur résilience et leur courage nous montrent à tous la voie.»

5ème dimanche – Année C – 6 février 2022 – Évangile de Luc 5, 1-11

Évangile de Luc 5, 1-11

« Laissant tout, ils le suivirent »

Comme toute lecture liturgique, l’Évangile de ce dimanche permet plusieurs de niveaux de lecture. Je vais en présenter sommairement cinq, nous nous attacherons au dernier.

Premièrement, la lecture littérale : il y a effectivement eu pour Simon-Pierre, une pèche miraculeuse sur les indications de Jésus après une nuit harassante à ne rien prendre, qui nous indique qu’embarquer le Christ dans nos entreprises est source de prospérité. C’est une lecture simple, assez triviale, qui n’est pourtant pas dépourvue de sens.

Une autre lecture, sans doute plus proche de l’intention de l’évangéliste, est celle qui comprend que ce miracle est une prophétie à propos de l’Église, symbolisée ici par la présence de Pierre, Jacques et Jean. L’Église a à s’avancer au large, c’est là qu’elle sera abondamment « pêcheuse d’hommes ». On voit ici se déployer l’intention universaliste de la mission chrétienne, dès le début de l’Évangile de Luc.

Troisième lecture possible : celle qui met en lumière la transition entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Le peuple hébreux a, jusqu’alors, « peiné toute la nuit sans rien prendre » mais l’arrivée du Christ change radicalement les choses : « sur ta parole, je vais jeter les filets. » C’est la confiance en la parole du Christ qui renouvelle l’alliance de Dieu avec les hommes.

Toujours présente, et toujours à faire, la lecture spirituelle du texte. Le Christ nous invite à aller en eaux profondes, à nous avancer spirituellement là où nous pensons perdre pied, à aborder courageusement les tumultes de notre âme, à affronter la peur que nous avons de nos propres insécurités voire de nos ténèbres. La pêche sera alors miraculeuse et les profits spirituels abondants.

Enfin, on peut s’attacher à ce qu’éprouve personnellement Pierre, lorsqu’il perçoit l’inouï de la grâce de Dieu : « à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : ‘Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur.’ » qui traduit le sentiment que l’on éprouve de ne pas mériter les grâces que Dieu nous donne. Il ne s’agit pas tant de s’abaisser devant Dieu – nous sommes tous pécheurs – que de reconnaître que l’abondance de son amour pour nous nous dépasse radicalement.

C’est un dimanche pour savourer la grâce de Dieu, à travers l’histoire de son peuple, à travers la mission de l’Église, à travers les pêches miraculeuses de notre vie, à chaque fois que nous embarquons le Christ avec nous pour aimer le monde.

C’est un dimanche pour méditer la joie des interventions divines dans notre histoire, ce sentiment d’abondance et d’amour inouï de Dieu à notre égard, que j’espère nous avons tous eu l’occasion de vivre – qui en rencontrant l’amour, qui en donnant la vie, qui en renouvelant la sienne. Parce que c’est cette joie, ce sentiment d’abondance de la grâce de Dieu que pourtant nous ne méritons pas, qui nous pousse à laisser tout le reste pour suivre le Christ.

— Fr. Laurent Mathelot OP

Jour Anniversaire de la Shoah

« Ne permettez pas que cette cruauté indicible soit oubliée»

Ce mercredi 26 janvier, à la fin de l’audience générale, François a salué la rescapée d’Auschwitz Lidia Maksymowicz. À la veille de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah, le Pape a encouragé la prise de conscience des nouvelles générations.

«Cette cruauté indicible ne doit jamais se répéter»

Tels sont les mots du Souverain pontife à l’issue de l’audience générale du mercredi 26 janvier. À la veille de la Journée internationale du souvenir, à l’occasion du 77e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, symbole de la Shoah qui a brisé la vie de millions de personnes et de familles, le Pape François a lancé un appel : «Il est nécessaire de se souvenir de l’extermination de millions de Juifs et de personnes de différentes nationalités et confessions religieuses. Cette cruauté indicible ne doit jamais être répétée.»

Le Pape s’est adressé à tous, mais en particulier «aux éducateurs et aux familles afin qu’ils puissent favoriser chez les nouvelles générations une prise de conscience de l’horreur de cette page noire de l’histoire». «Qu’elle ne soit jamais oubliée, a averti le Souverain pontife, afin que nous puissions construire un avenir dans lequel la dignité humaine ne sera plus jamais bafouée».

L’appel s’est transformé en accolade à la fin de l’audience, lorsque le Pape a salué Lidia Maksymowicz, une Polonaise d’origine biélorusse, internée dans le camp d’Auschwitz-Birkenau à l’âge de trois ans avec sa mère, perdue puis retrouvée à l’âge adulte en Russie. Il s’agit de la deuxième rencontre entre le pape et Lidia Maksymowicz, témoin vivant des drames des camps de concentration et des expériences du docteur Josef Mengele.

Déjà le 26 mai 2021, à la fin d’une audience générale dans la cour de San Damaso, la rescapée avait salué François qui, à la stupéfaction collective, s’était penché pour embrasser le numéro tatoué sur son bras, toujours visible 77 ans après l’horreur qu’elle avait vécue : «70072». «Le baiser du Saint-Père m’a renforcé et m’a réconcilié avec le monde», avait-elle alors déclaré.  

L’année dernière, à l’occasion de la journée de la mémoire, François avait rappelé «cette immense tragédie» lors de l’angélus, en déclarant : «L’indifférence n’est pas admissible et nous devons nous souvenir». Il avait invité les fidèles à prier «en disant dans leur cœur : plus jamais ça».