Fête de l’Épiphanie – Année B – 3 janvier 2021 – Évangile de Matthieu 2, 1-12

Évangile de Matthieu 2, 1-12

Épiphanie : L’Étoile est née

Épiphanie : un mot un peu mystérieux, une fête qui ne signifie plus rien pour beaucoup. Sinon l’occasion de partager une succulente galette des Rois et avoir la chance de trouver la petite figurine enfouie dans la pâte. Pourvu qu’elle représente Messie (Lionel, la star du foot évidemment). Et être applaudi comme roi affublé d’une couronne de carton doré… La bouffe et le folklore ! Toute la richesse de la fête évangélique est aplatie à zéro. Essayons de la retrouver.

Les savants sous la ronde des étoiles

Étaient-ils trois ?..En tout cas ils n’étaient pas rois mais mages. Ce qui ne désigne pas des charlatans amateurs de tours mais de véritables savants de l’époque. Les plus célèbres, en Chaldée, du haut de la tour de Babel, observaient depuis des siècles les mouvements réguliers des étoiles. La voûte céleste n’envoyait-elle pas des messages des dieux ? Notre destinée n’était-elle pas tracée par les signes du zodiaque ? Les hommes étaient-ils les jouets des astres, les pantins soumis à la fatalité ? …La croyance est tenace et elle perdure dans notre société moderne puisque nombreux, même au plus haut niveau politique, me dit-on, sont ceux qui se précipitent pour connaître les prédictions sur les événements de l’année qui débute..

Un jour, une étoile nouvelle intrigua les mages : certains l’interprétèrent comme signe d’ une naissance royale dans le royaume de Judée et décidèrent de se mettre en route. Ils parvinrent à la capitale de ce royaume, Jérusalem, et se présentèrent donc au palais du roi Hérode. A leur grand étonnement, on leur déclara que nulle naissance n’avait eu lieu à la Cour. Mais on leur apporta le grand livre des Écritures, la Torah, où étaient consignées les prophéties des derniers siècles. C’est alors que les mages découvrirent une tout autre conception de l’histoire.

Chez eux, à Babel, ils guettaient, dans la ronde des étoiles, les signes d’un temps qui se répétait sans fin. Les dieux dictaient leurs volontés implacables et l’homme ne pouvait que s’incliner devant leurs décisions. Au contraire, la Torah d’Israël – que nous appelons la Bible – affirmait que l’histoire n’est pas cyclique mais qu’elle a un sens, et que si nous retombons toujours dans les tempêtes des malheurs, des trahisons et des guerres, un jour, Dieu, car il n’y en a qu’un, enverra un roi qu’il consacrera par son amour et qui apportera justice et paix. On l’appelle le Messie.

Les scribes royaux expliquèrent ainsi aux voyageurs que c’est précisément un mage païen, comme eux, dénommé Balaam qui avait jadis déclaré : « Je le vois mais ce n’est pas pour maintenant : Une étoile monte d’Israël… » (Nombres 23, 17). Plus tard le prophète Michée avait même précisé le lieu de naissance de ce Messie : « Et toi, Bethléem, tu n’es pas le plus petit des chefs-lieux de Juda car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître mon peuple Israël. Il sera grand jusqu’aux confins de la terre. Lui-même sera la paix » (Michée 5, 1).

Nos mages proposèrent donc de se rendre à ce village de Bethléem. On leur expliqua le chemin – à quelques km au sud de Jérusalem – mais le roi Hérode et ses prélats refusèrent de les accompagner. On peut très bien connaître les Écritures, faire de beaux commentaires sur la Parole de Dieu…et ne pas obéir à ce qu’elle dit. On reporte pour d’autres, dans l’avenir, les engagements que Dieu tout à coup demande pour aujourd’hui.

La découverte de l’Étoile véritable

L’étoile qu’ils avaient découverte à leur observatoire les guida et cela les remplit d’une très grande joie : signe qu’ils ne s’étaient pas trompés et qu’ils approchaient du but.

« Ils entrèrent dans la petite maison et virent l’enfant Jésus avec sa mère. Ils se prosternèrent devant lui et lui présentèrent leurs cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ».

Ainsi ce sont des païens, des étrangers, qui furent les premiers à venir à Jésus et à croire en lui. Ils avaient dû quitter leurs familles, leurs travaux pour se lancer dans un long voyage. Ils avaient dû scruter les messages mystérieux que le cosmos leur envoyait. Ils avaient dû se plonger dans la Torah juive pour y découvrir une nouvelle lecture de l’histoire qui n’est plus seulement cycle des saisons mais accomplissement du dessein du Dieu unique qui nous libère des fatalités pour nous conduire peu à peu à la découverte du Messie.

Nos mages étaient partis à la rencontre d’un petit prince, baignant dans le luxe et la puissance d’un palais : et ils découvraient une misérable maisonnette, un couple pauvre avec leur nouveau-né sans couronne ni auréole. Et, avant Hérode, avant les spécialistes des Écritures, eux, les premiers, avaient eu le courage d’aller au bout de leur recherche. Ils offrirent leurs cadeaux et s’agenouillèrent : car la foi au Messie provoque à partager ses biens et à devenir comme des enfants. L’adoration véritable se vérifie dans la donation.

Une vie nouvelle

A Jérusalem, ils avaient trouvé étrange que le roi Hérode refusât de les accompagner. Maintenant, dans un songe, Dieu leur conseilla de ne pas retourner au palais comme convenu.

« Ils retournèrent dans leur pays par un autre chemin ».

On perçoit le double sens de l’expression qui n‘est pas seulement géographique mais spirituelle. Lorsque l’on reconnaît en Jésus le Messie de Dieu, on ne peut plus vivre comme avant. L’échelle des valeurs change, les priorités basculent, on prend d’autres chemins de vie.

On ne croit plus à la fatalité des astres, on n’est plus écrasé par un Dieu tout-puissant. On perçoit les signes qu’il nous fait : la splendeur du cosmos et la lumière de la Torah convergent pour nous conduire devant le grand signe : Jésus. Il devient l’étoile qui nous guide sur le chemin de la vérité, qui nous comble d’une « grande joie » sans pareille, qui nous rend effectivement rois puisque son amour infini nous libère de l’esclavage du péché.

Et on commence à pressentir que ce Messie, humble et pauvre, ne va pas susciter l’admiration universelle. En chemin, nos voyageurs vont apprendre l’effrayante nouvelle : dans la crainte d’un roi qui lui ravirait son trône, Hérode, le tyran fou de jalousie qui avait déjà fait exécuter de ses enfants, ordonna de mettre à mort les enfants de la région de Bethléem nés à l’époque présumée de Jésus.

Le début annonce la fin

Jésus va grandir, devenir prophète itinérant de Galilée et un jour, il montera à Jérusalem où les Puissants et les Scribes n’accepteront pas que ce pauvre puisse être le Messie pourtant désigné par tant de versets des prophètes et ils l’exécuteront. Mais l’Esprit le ressuscitera et l’évangile culminera sur le grand appel missionnaire à ses disciples (28,18):

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! Dans toutes les nations, faites des disciples…Apprenez-leur à pratiquer ce que je vous ai appris. Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps »

Dites aux hommes de scruter les profondeurs infinies du cosmos, de s’interroger sur le sens de ce monde. Dites-leur de scruter aussi les versets de la Bible et de l’Évangile. Le Livre de l’univers et le Livre des Écritures convergent sur le grand Signe de Dieu, Jésus.

En grec, son nom hébreu de Messie est Christos dont la première lettre s’écrit X. Et puisque les hommes l’ont mis sur une croix +, son sigle est *.

« Je suis la Lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres : il aura la lumière qui conduit à la Vie.»

(Jean 8, 12)

Donc Paul peut nous écrire :

« Agissez sans murmure ni réticences, afin d’être sans reproche, enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération dévoyée où vous apparaissez comme des étoiles dans le monde.»

(Phil 2,14)

A condition de vous comporter entre vous comme en Christ (Phil 2, 5).

La foi n’est pas du cinéma.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Pandémie, vie de l’Église, quelles leçons ?

par le Cardinal Mario Grech

Mgr Mario Grech est le nouveau secrétaire général du Synode des évêques. Né à Malte en 1957. Évêque de Gozo en 2005. En 2019 nommé Pro-Secrétaire Général du Synode des évêques par le pape François. Créé cardinal en novembre. — Interview dans la grande revue jésuite « La civilta cattolica » du 23.10.2020. Texte important. A méditer.

Mgr Grech, la période de pandémie que nous traversons encore, a forcé le monde entier à s’arrêter. La maison est devenue un lieu de refuge contre la contagion. L’Église a été touchée par cette suspension de toute activité et les célébrations liturgiques publiques n’ont plus été autorisées. Quelle a été votre réflexion en tant qu’évêque ?

Si nous prenons cela comme une opportunité, cela peut devenir un moment de renouveau. La pandémie a mis en lumière une certaine ignorance religieuse, une pauvreté spirituelle. Certains ont insisté sur la liberté de culte ou la liberté pour le culte, mais peu de choses ont été dites sur la liberté dans la manière de prier.

Nous avons oublié la richesse et la variété des expériences qui nous aident à contempler le visage du Christ. Certains ont même dit que la vie de l’Église avait été interrompue ! Et c’est vraiment incroyable. Dans la situation qui a empêché la célébration des sacrements, nous n’avons pas réalisé qu’il y avait d’autres manières de faire l’expérience de Dieu. Dans l’Évangile de Jean, Jésus dit à la Samaritaine : « L’heure vient où vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem. […] L’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que le Père recherche » (Jean 4,21-23).

La fidélité du disciple à Jésus ne peut être compromise par l’absence temporaire de liturgie et de sacrements. Le fait que de nombreux prêtres et laïcs soient entrés en crise parce que tout à coup nous nous sommes retrouvés dans la situation de ne pas pouvoir célébrer l’Eucharistie coram populo est en soi très significatif. Pendant la pandémie, un certain cléricalisme est apparu, même via les réseaux sociaux. Nous avons été témoins d’un degré d’exhibitionnisme et de piétisme qui a plus à voir avec la magie qu’avec une expression de foi mature.

Alors quel défi pour aujourd’hui ? Lorsque le temple de Jérusalem où Jésus a prié a été détruit, les Juifs et les Gentils, n’ayant pas de temple, se sont rassemblés autour de la table familiale et ont offert des sacrifices par leurs lèvres et par des prières de louange. Lorsqu’ils ne pouvaient plus suivre la tradition, les Juifs et les Chrétiens ont repris la loi et les prophètes et les ont réinterprétés d’une nouvelle manière.

C’est aussi le défi pour aujourd’hui. Lorsqu’il a écrit sur la réforme dont l’Église avait besoin, Yves Congar a affirmé que la « mise à jour » souhaitée par le Concile devait aller jusqu’à la découverte d’une manière nouvelle d’être, de parler et de s’engager qui réponde au besoin d’un service évangélique total pour le monde. Au lieu de cela, de nombreuses initiatives pastorales de cette période ont été centrées sur la seule figure du prêtre. L’Église, en ce sens, semble trop cléricale et le ministère est contrôlé par des clercs. Même les laïcs sont souvent conditionnés par un modèle de cléricalisme fort. Le confinement que nous avons vécu, nous oblige à ouvrir les yeux sur la réalité que nous vivons dans nos églises. Il faut réfléchir, s’interroger sur la richesse des ministères laïcs dans l’Église, comprendre si, et comment ils se sont exprimés. A quoi sert une profession de foi, si cette même foi ne devient pas le levain qui transforme la pâte de la vie ?

Quels aspects de la vie de l’Église ont émergé de cette période contrastée ?

Nous avons découvert une nouvelle ecclésiologie, peut-être même une nouvelle théologie, et un nouveau ministère. Cela indique donc qu’il est temps de faire les choix nécessaires pour s’appuyer sur ce nouveau modèle de ministère. Ce serait un suicide si, après la pandémie, nous revenions aux mêmes modèles pastoraux que ceux que nous avons pratiqués jusqu’à présent.

Nous dépensons une énergie énorme à essayer de convertir la société sécularisée, mais il est plus important de nous convertir nous-mêmes pour réaliser la conversion pastorale dont le pape François parle souvent. Je trouve curieux que beaucoup de gens se soient plaints de ne pas pouvoir recevoir la communion et célébrer les funérailles à l’église, mais bien moins se sont inquiétés de savoir comment se réconcilier avec Dieu et son prochain, comment écouter et célébrer la Parole de Dieu et comment vivre une vie de service.

En ce qui concerne la Parole, nous devons donc espérer que cette crise, dont les effets nous accompagneront pendant longtemps, sera pour nous, en tant qu’Église, un moment opportun pour remettre l’Évangile au centre de notre vie et de notre ministère. Beaucoup sont encore « analphabètes de l’Évangile ».

À cet égard, vous avez déjà évoqué la question de la « pauvreté spirituelle » : quelle est sa nature et quelles sont, à votre avis, les causes les plus évidentes de cette pauvreté ?

Il est indéniable que l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne …mais l’Eucharistie n’est pas la seule possibilité pour le chrétien d’expérimenter le Mystère et de rencontrer le Seigneur Jésus. Paul VI l’a bien observé en écrivant que dans l’Eucharistie « la présence du Christ est « réelle » et non de façon exclusive, comme si les autres n’étaient pas « réelles ». » Par conséquent, il est préoccupant que quelqu’un se sente perdu en dehors du contexte eucharistique ou du culte, car cela montre une ignorance des autres façons de s’engager dans le Mystère. Cela indique non seulement qu’il existe un certain « analphabétisme spirituel », mais c’est la preuve de l’insuffisance de la pratique pastorale actuelle. Il est très probable que dans un passé récent, notre activité pastorale a cherché à conduire aux sacrements et non à conduire – à travers les sacrements – à la vie chrétienne. La pauvreté spirituelle et l’absence d’une vraie rencontre avec l’Évangile ont de nombreuses implications…

Concernant le service, voici une réflexion : ces médecins et infirmières qui ont risqué leur vie pour rester proches des malades n’ont-ils pas transformé les salles d’hôpital en « cathédrales » ? Le service aux autres dans leur travail quotidien, en proie aux exigences de l’urgence sanitaire, était pour les chrétiens un moyen efficace d’exprimer leur foi, de refléter une Église présente dans le monde d’aujourd’hui, et non plus une « Église de sacristie », absente des rues, ou se satisfaisant de projeter la sacristie dans la rue.

Ainsi, ce service peut-il être un moyen d’évangélisation ?

La fraction du pain eucharistique et de la Parole ne peut se faire sans rompre le pain avec ceux qui n’en ont pas. C’est cela la diaconie. Les pauvres sont théologiquement le visage du Christ. Sans les pauvres, on perd le contact avec la réalité. Ainsi, tout comme un lieu de prière dans la paroisse est nécessaire, la présence de la cuisine pour la soupe, au sens large du terme, est importante. La diaconie ou le service d’évangélisation là où il y a des besoins sociaux est une dimension constitutive de l’être de l’Église, de sa mission. De même que l’Église est missionnaire par nature, c’est de cette nature missionnaire que découle la charité pour notre prochain, la compassion, qui est capable de comprendre, d’aider et de promouvoir les autres.

La meilleure façon de faire l’expérience de l’amour chrétien est le ministère du service. Beaucoup de gens sont attirés par l’Église non pas parce qu’ils ont participé à des cours de catéchisme, mais parce qu’ils ont participé à une expérience significative de service. Et cette voie d’évangélisation est fondamentale dans l’ère actuelle de changement, comme le pape François l’a observé dans son discours à la Curie en 2019 : « Nous ne sommes plus en régime de chrétienté. » La foi, en fait, n’est plus une condition préalable évidente pour vivre ensemble.

Le manque de foi, ou plus clairement la mort de Dieu, est une autre forme de pandémie qui fait mourir des gens.

… Le service rend manifeste la vérité propre au Christ. La fraction du pain à la maison pendant le confinement a finalement mis en lumière la vie eucharistique et ecclésiale vécue dans la vie quotidienne de nombreuses familles. Pouvons-nous dire que le foyer est redevenu Église, y compris « église » au sens liturgique ? Cela m’a semblé très clair. Et ceux qui, pendant cette période où la famille n’a pas eu l’opportunité de participer à l’Eucharistie, n’ont pas saisi l’occasion d’aider les familles à développer leur propre potentiel, ont raté une occasion en or.

D’un autre côté, il y a eu des familles qui, en cette période de restrictions, se sont révélées, de leur propre initiative, « créatives dans l’amour ». Cela inclut la manière dont les parents accompagnent leurs jeunes dans des formes de scolarisation à domicile, l’aide offerte aux personnes âgées, la lutte contre la solitude, la création d’espaces de prière et la disponibilité aux plus pauvres. Que la grâce du Seigneur multiplie ces beaux exemples et redécouvre la beauté de la vocation et des charismes cachés dans toutes les familles.

La 2ème partie de cette interview paraîtra dans notre prochain numéro.

Fête de la Sainte Famille – Année B – 27 décembre 2020 – Évangile de Luc 2, 22-40

Évangile de Luc 2, 22-40

Jésus un Signe Contesté

Moment solennel. Au 40ème jour, les parents apportent leur nouveau-né au Temple pour accomplir les deux rites prescrits par la Loi, la purification rituelle de la mère et le rachat du premier-né. Curieusement Luc ne raconte pas la cérémonie : le prêtre anonyme désigné ce jour-là n’a rien remarqué de spécial et il a accompli son service avec piété pour un couple qui ressemblait à tous les autres et qu’il a salué avant de recevoir le suivant.

Dès le départ il y a là comme un présage de ce qui va se produire quelques années plus tard : les autorités du Temple, les prêtres sadducéens ne reconnaîtront pas Jésus. Ils vont l’accuser d’être un perturbateur, un blasphémateur et ils finiront par obtenir sa condamnation. Mais 40 jours après la renaissance de sa résurrection, il « montera » au ciel. Puisque le temple terrestre de pierres l’a rejeté, son Père accueillera son Fils dans sa demeure céleste. L’amour jusqu’à la mort ouvre à l’Amour sans mort.

Avertissement majeur de l’Évangile : malgré la splendeur de ses édifices et la solennité de ses cérémonies, le système religieux peut méconnaître les envoyés de Dieu. Engoncé dans ses traditions, figé dans son cérémonial, rétif à toute réforme, il risque de rester aveugle aux signes des temps, sourds aux appels des prophètes qui, avant lui, voient l’avenir.

Les Vieux qui voient

Luc s’attarde beaucoup plus longuement sur l’événement qui précède les rites. Alors que le jeune couple traversait l’immense esplanade pour atteindre le local prévu, tout à coup un vieux monsieur vint à leur rencontre. Il s’appelait Syméon et était rempli de l’Esprit-Saint. Sa piété n’était pas seulement rituelle, routinière mais son cœur brûlait de l’attente du Messie annoncé par les Écritures. Il souffrait vraiment du malheur de son peuple opprimé et il avait l’intuition qu’il ne mourrait pas sans avoir vu apparaître ce Messie.

Comment a-t-il su ? Comment a-t-il été attiré par ce couple que rien ne distinguait, par ce bébé semblable à tant d’autres ? Tout ému il demande à Marie de lui confier son enfant et il éclate en prière :

Maintenant, Seigneur, tu peux laisser partir ton serviteur dans la joie. Car j’ai vu ton salut que tu as préparé pour tous les peuples. Il est la Lumière pour éclairer les nations païennes et sera la Gloire de ton peuple Israël ». Le père et la mère étaient tout étonnés.

Dieu révèle son projet de façon progressive au fur et à mesure que les croyants lui obéissent. Marie a suivi le message de son annonciation lui promettant un enfant, à présent, à l’occasion d’une rencontre impromptue elle apprend tout à coup que Jésus, le messie glorieux d’Israël, sera également le Messie qui sauvera toute l’humanité. L’envoyé de Dieu n’est plus un Ange mais un brave vieux qu’elle n’a jamais vu. Elle et Joseph sont tout surpris d’entendre telle nouvelle. Mais la suite va les faire frissonner.

Un Messie souffrant

Syméon les bénit et dit à Marie : « Ton fils provoquera la chute et le relèvement des gens en Israël. Il sera un signe de division. Et toi, ton cœur sera transpercé par une épée ! Mais ainsi les pensées secrètes des hommes seront dévoilées ».

Israël attendait un Messie, un Roi tout-puissant à qui nul ne résisterait, qui anéantirait le mal et ferait triompher le bien. Le vieil inspiré prévient Marie : Attention ! Ton fils ne fera jamais l’unanimité. Certains le reconnaîtront mais d’autres, beaucoup d’autres, le soupçonneront de mensonge, critiqueront son programme, le couvriront d’injures. Il restera un signe, c.à.d. un Messie humble devant lequel la liberté doit se décider. Beaucoup le contesteront, le détesteront, certains voudront même sa mort. Devant cette scission de ton peuple, devant ce déferlement de haine, toi, la maman, tu seras épouvantée. Le déchirement de ton peuple déchirera ton cœur.

Mais c’est de la sorte que, devant ton Fils et son message, apparaîtra la vérité profonde des êtres. Grandes tenues, titres ronflants, blasons, orgueil et ambition, renommées et exploits, les masques tomberont et la vérité de chacun se révèlera. Devant la crèche et la croix, ce n’est pas Dieu qui juge : l’homme se juge lui-même.

Une femme aussi peut être prophète : voilà que surgit également Anne, une veuve très âgée. Luc la présente comme le modèle des vieux qui, animés par l’Esprit, continuent à prier et à faire pénitence pour que vienne le salut. En outre, elle devient évangélisatrice car il faut annoncer la Bonne Nouvelle.

Elle servait Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance d’Israël.

Les années obscures

Après avoir bien accompli tout ce que prescrivait la Loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L’enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.

Sauf l’épisode de la fugue de Jésus à 12 ans, plus rien ne sera dit sur cette trentaine d’années dans le village ignoré de Nazareth. Il ne reste à Marie et Joseph qu’à élever cet enfant, en gardant tout ce qu’ils ont appris de lui. Il ne faut pas anticiper le dessein de Dieu mais paisiblement, patiemment, vivre la banalité du quotidien. Ce temps ordinaire nous apprend à vivre le nôtre : silencieux, le Messie est là. Nous le gardons et il nous garde.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Fête de Noël – 25 décembre 2020 – Évangile de Luc 2, 1-20

Évangile de Luc 2, 1-20

Voici ton Sauveur qui vient

(Isaïe 62)

La sinistre pandémie n’a pu être endiguée à temps pour nous permettre de déployer tous les fastes de ce que l’on appelle maintenant « la magie de Noël ». Lourdes peines pour les aînés privés de visites, tristesse pour les familles empêchées de se réjouir à la même table, gros soucis financiers pour les commerçants obligés à la fermeture, désarroi des artistes dans des salles vides. Toute crise bouscule, cause des dégâts mais donne aussi l’occasion de réfléchir. Il ne faut pas se tromper de fête.

Puisque « Noël » dérive du mot latin « natalis – dies », jour de la naissance, de qui donc nos villes en pleine effervescence fêtaient-elles l’arrivée dans le monde ? La réponse est flagrante : au fil des dernières années, on a vu peu à peu se vider les églises et disparaître les crèches représentant la scène de Bethléem pour voir surgir l’omniprésent, le rubicond, le jovial, le cocacolagène « père Noël ». C’est lui le bien-venu.

Le gros malin a réussi à s’attribuer le nom de la fête. L’Évangile nous racontait la naissance d’un fils : le monde préfère un père, et même un brave vieux grand-père. Que Dieu vienne dans l’être le plus fragile, le plus vulnérable, le monde repousse ce qu’il appelle un « mythe » et il accueille un vieux richard, au nez rouge, qui surgit et distribue les cadeaux les plus mirifiques. A condition d’avoir des fonds !

L’Évangile nous faisait le plus merveilleux cadeau : un Dieu qui se fait la faiblesse incarnée pour que nous devenions adultes et empoignions nos responsabilités pour le laisser grandir et le sauver de l’oubli. Les hommes ont préféré rester des enfants aux yeux écarquillés par les étalages, éblouis devant un sapin illuminé, manipulés par la pub’, enchantés de recevoir de nouveaux jouets.

L’Évangile nous montrait un jeune couple fraîchement marié, un artisan de village et une jeune femme enceinte. Au lieu d’attendre l’heureux événement au milieu de leurs parents, un édit impérial les avait obligés à prendre la route, à descendre en Judée, à plus de 100 km. Et le moment venu, par manque d’argent, Marie avait dû accoucher dans une étable, comme d’ailleurs beaucoup de misérables.

Des migrants, des pauvres sans ressources qu’il va falloir accueillir et aider : la scène est poétique quand elle se joue avec des santons peinturlurés mais dans le réel ? Le monde ne supporte pas que des émigrés, des affamés lui gâchent sa fête de Noël : les braiments du bourricot pourraient gâcher la mélodie sirupeuse de « White Christmas ».

Garder et méditer les événements

Marie, épuisée, contemple son enfant enveloppé d’un linge, endormi sur la paille d’une mangeoire. Et elle a la surprise d’avoir la visite de quelques gamins pouilleux, des gardiens de moutons. L’étable devient le lieu des veilleurs, des vigilants, de ceux qui sont au centre de l’histoire tandis que tout autour, aveuglés par la cupidité, l’ambition, la violence, la folie des divertissements et des voyages, les hommes continuent à jouer la comédie humaine. Il n’y a rien de magique dans le véritable Noêl.

Tout s’est passé tellement vite. Marie se rappelle : le mariage, l’annonce de l’ange, la visite chez Élisabeth, le dur voyage. « Tu auras un fils, il aura le trône de David, il sera roi pour toujours, on l’appellera fils de Dieu ». Cette promesse semble tellement démentie par la situation : le déracinement, une étable, la paille…Mais mon enfant est né dans le village de David ; à Bethléem, qui signifie « la maison du pain » ; et il dort dans une « mangeoire ». Que signifie tout cela ? « Je suis la servante du Seigneur. Que tout m’arrive selon ta parole ».

L’évangéliste Luc spécifie l’activité capitale de Marie : « Elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Celui qui s’engage à servir Dieu n’exige pas de programme : au jour le jour il sert, il se donne tout entier à la réalisation de la volonté de Dieu. Il peut être surpris, anxieux, désarçonné : qu’il cherche à interpréter les événements qui se succèdent. Qu’il sache que Jésus est né dans. son cœur, qu’il ne doit pas l’abandonner, que sa mission est d’apporter le Sauveur à un monde terrifié par les guerres, le réchauffement climatique, l’expansion du covid.

La foi chrétienne n’est pas une impression volatile, une piété avide de merveilleux, un souci du ciel qui entraîne à la résignation en ce monde. Elle est marche inlassable sur un sentier ardu, barque dans la tempête. Mais elle comble de la joie d’être un homme libre, un enfant né du vrai Père.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

La dignité de la personne âgée et sa mission dans l’Église et dans le monde

Le Pape François, dans le cycle de ses catéchèses sur la famille, s’est arrêté plusieurs fois pour réfléchir sur le sujet de la personne âgée et de la vocation contenue dans cet âge de la vie. « Les personnes âgées sont une richesse, on ne peut pas les ignorer », a dit le Saint-Père, en dénonçant encore une fois cette culture du rebut qui dans nos sociétés touche aussi les personnes âgées, considérées comme un poids. « Les personnes âgées sont des hommes et des femmes, des pères et des mères qui sont passés avant nous sur notre même route, dans notre même maison, dans notre bataille quotidienne pour une vie digne. Ce sont des hommes et des femmes dont nous avons beaucoup reçu. La personne âgée n’est pas un extra-terrestre. La personne âgée, c’est nous, dans peu de temps, dans longtemps, mais cependant inévitablement, même si nous n’y pensons pas. Et si nous apprenons à bien traiter les personnes âgées, nous serons traités de la même manière ».

Le Pape a ensuite conclu en faisant appel à notre conscience pour renouveler le choix de la proximité et de la gratuité envers les personnes âgées : « Nous, les personnes âgées, sommes un peu toutes fragiles. Certaines, cependant, sont particulièrement faibles, beaucoup sont seules, et frappées par la maladie. Certaines dépendent de soins indispensables et de l’attention des autres. Ferons-nous pour cela un pas en arrière ? Les abandonnerons-nous à leur destin ? Une société sans proximité, où la gratuité et l’affection sans contrepartie, même entre étrangers, disparaissent, est une société perverse.

L’Église, fidèle à la Parole de Dieu, ne peut pas tolérer cette dégénérescence. Une communauté chrétienne où proximité et gratuité ne seraient plus considérées comme indispensables, perdrait son âme avec celles-ci. Là où on ne fait pas honneur aux personnes âgées, il n’y a pas d’avenir pour les jeunes ».

Le Conseil Pontifical pour les Laïcs a publié un document sur les personnes âgées : “Dignité et mission des personnes âgées dans l’Église et dans le monde.

4ème dimanche de l’Avent – Année B – 20 décembre 2020 – Évangile de Luc 1, 26-38

Évangile de Luc 1, 26-38

Marie : Écouter la Parole pour la servir

L’ultime étape du chemin de l’Avent nous conduit évidemment devant la femme qui a permis l’éclosion du plus grand événement de l’histoire de l’humanité : Marie. Y avait-il quelqu’un de plus caché que cette jeune habitante d’un village perdu de Galilée ? Y a-t-il aujourd’hui une femme plus glorieuse dans le monde ? Chaque jour des millions de bouches reprennent sa prière, des masses de pèlerins marchent à sa rencontre. Les plus grands musiciens, les plus grands peintres ont composé pour elle des chefs-d’œuvre et les plus magnifiques des édifices portent son nom : « Notre-Dame ».

Quel est le secret de sa grandeur ? Il est caché derrière les solennelles déclarations dogmatiques qui risquent de l’éloigner de nous : Marie a écouté, Marie a accepté, Marie a obéi. Voilà le message que Luc nous offre à l’orée de son évangile et nous n’aurons jamais fini de méditer ce portail de l’Annonciation.

Marie en silence

Nazareth : un minuscule village à l’écart, où il ne se passe jamais rien. Rien n’est dit de la date, de l’heure, des apparences de la femme. Il y a quelques mois, tout le village a célébré ses noces avec un charpentier appelé Joseph : elle doit donc avoir 14-15 ans, âge habituel à l’époque pour le mariage des filles. Et selon la coutume, elle vit encore chez ses parents, le temps nécessaire pour que l’époux acquière et aménage une maison. A quoi est-elle occupée ? On ne sait mais elle semble seule, il n’y a pas de témoin. Marie est en silence.

Tout à coup quelqu’un est là : un Ange, c.à.d. un envoyé de Dieu. On imagine un être lumineux, aux grandes ailes déployées mais il n’est pas décrit. Luc ne dit pas que Marie le voit mais il connaît son nom : Gabriel. Donc c’est l’ange qui est venu jadis près du jeune prophète Daniel pour lui faire comprendre que c’est le temps de la fin (Daniel 8, 16 ; 9, 20). Gabriel est l’interprète, il fait entrer dans la signification de la Parole de Dieu, il révèle l’importance unique du « kaïros », du moment que la personne est en train de vivre.

Au lieu de dire « Shalom », Gabriel relance à Marie la Bonne Nouvelle à Jérusalem-Sion éplorée par ses malheurs : « Réjouis-toi, ris de tout ton cœur : le Seigneur est au milieu de toi » (Sophonie 3, 14). L’expression va s’intérioriser en Marie. Car tu es comblée de grâce, tu as la faveur de Dieu.

Choc totalement inattendu qui pourrait faire fuir la petite ! En effet Luc emploie un verbe très fort : elle n’est pas seulement troublée, « elle est bouleversée ». Comme une tempête qui secoue tout son être. Mais au lieu de se dérober, Marie a une réaction admirable : « Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation ». L’événement claque comme un séisme mais Marie accepte d’entrer dans le dialogue. Elle réfléchit à la signification de ce qui lui a été adressé. Contrairement à ce que prétendent certains, la foi n’éteint pas l’intelligence mais l’éveille, l’excite, pousse à la réflexion. Loin d’être un doute mauvais contre la foi, le questionnement est normal et il importe de le creuser, de le pousser à fond : c’est ainsi que le cœur s’ouvre à la lumière.

C’est pourquoi Gabriel peut alors jouer son rôle d’interprète de la Parole et il poursuit :

« Sois sans crainte. Tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et on lui donnera le nom de » Jésus. « Dieu lui donnera le trône de David son père et il règnera pour toujours ».

Comme tous les jeunes, Marie connait l’histoire de son peuple car les Écritures forment la base de toute l’éducation et sont commentées sans cesse dans le culte des synagogues. Gabriel lui rappelle cet épisode célèbre lorsque le prophète Isaïe alla trouver le jeune roi Akhaz en train de surveiller les travaux de fortification de Jérusalem (Isaïe 7). Une grande armée coalisée s’approchait avec le dessein de prendre la ville et d’installer une nouvelle dynastie. Isaïe rassura le petit roi qui s’angoissait : « Ne crains pas, tes ennemis ne viendront pas et la dynastie de David subsistera. Dieu te donne un signe : la jeune femme aura un fils qui grandira en paix et on l’appellera Emmanuel, Dieu-avec-nous ».

Quel est donc ici le rôle essentiel de l’ange ? C’est d’interpréter et d’actualiser l’histoire. Ce qui s’est passé 7 siècles auparavant est une grande prophétie messianique : Dieu a choisi la dynastie du roi David afin d’apporter la paix en dépit de tous les efforts des hommes pour la détruire. Babylone puis la Perse puis les Grecs puis les Romains, tous ont tenté d’anéantir ce peuple mais maintenant toi, Marie, tu as épousé Joseph, un vrai descendant de David. Tu auras un fils et tu l’appelleras Jésus – Iéshouah qui, en hébreu, signifie « sauveur ». Il sera le Messie qui délivrera du mal et il règnera pour toujours.

Comment n’être pas chamboulée d’apprendre que maintenant, aujourd’hui, on est la femme choisie pour accomplir cette vocation ? Marie a compris que sa maternité devait être imminente : elle objecte qu’elle n’a pas de relations conjugales avec Joseph. L’Ange explique :

Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? 
L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre : c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu ».

L’événement près de survenir est d’une importance telle qu’il est comparable à la création de l’univers. La Genèse commençait ainsi: « La terre était tohu-bohu, ténèbres sur l’abîme ; et l’Esprit, le Souffle de Dieu, planait sur les eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! – Et la lumière fut »» (Gen 1, 2). Ainsi l’enfant de Marie sera l’œuvre de la puissance de l’Esprit-Saint : dans la nuit du monde ravagé par l’égoïsme, la cupidité et la haine, il sera la Lumière de la Révélation. La foi n’est pas une loi : elle n’est rien moins qu’une re-création !

Si stupéfiante que soit cette nouvelle, Marie n’exige pas de voir un signe qui prouverait la véracité de ce qu’elle vient d’apprendre, au contraire du prêtre Zacharie (Luc 1, 18). Marie fait confiance, elle croit, elle est la croyante. Alors l’Ange peut quand même lui donner un signe :

Élisabeth, ta parente, est aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse, elle en est à son 6ème mois, elle qu’on appelait la stérile. Car rien n’est impossible à Dieu »

Luc en effet a noté qu’Élisabeth était un peu gênée d’être enceinte après tant d’années de mariage si bien qu’elle n’avait pas fait connaître la nouvelle à Marie qui habitait dans le nord, en Galilée.(1, 24).

Suspense. Que va-t-il se produire ? La jeune femme va-t-elle décliner l’offre sous prétexte de sa pauvreté ? Proposer une autre femme plus apte à accomplir cette mission immense ? Va-t-elle demander un délai de réflexion ? Suggérer d’avoir un entretien préalable avec ses parents ?…

Simple et sublime la réponse finale de Marie :

« Voici la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ». Et l’Ange la quitta.

Se présenter comme servante de Dieu n’est pas une confession de modestie : c’est, en toute liberté, s’offrir à la réalisation du projet de Dieu pour l’humanité. Don de soi sans retenue, audacieux, sans exiger d’assurance pour l’avenir. Les mains ouvertes devant toi, Seigneur…Que tout se passe… : Marie laisse carte blanche à Dieu sur son avenir. Elle ignore ce que cache ce « tout ». Et l’Ange ne reviendra jamais pour la consoler.

Imiter Marie

Ce texte fondamental sur l’écoute nous apprend à prier en vérité :

Écarter la dictature des médias et du bruit perpétuel. Oser entrer en silence. Tel que l’on est.
Ouvrir le Livre : s’arrêter sur un passage – lire lentement – relire –

Demander la venue de l’interprète divin. Surtout ne jamais croire que l’on a tout compris
Ne pas s’étonner de la surprise, de la peur, du bouleversement
Présenter son incompréhension, ses interrogations sur le sens des mots

Percevoir que moi, lecteur, je suis sollicité pour devenir acteur. Je peux ou non accepter.

Se rappeler les témoins qui, avant nous, sont entrés sur le chemin de l’Évangile : nous sommes toujours précédés.
Librement, consciemment, décider son engagement : servir Dieu = accomplir la Parole aujourd’hui

Enfin et surtout : ne pas oublier d’imiter Marie dans la suite :

1) Marie part sur le champ chez sa cousine afin de la servir : le service de Dieu se traduit tout de suite par le service du prochain.

2) Comblée de Joie, Marie éclate en action de grâce : « Magnificat… ». le cœur est comblé de la plénitude qu’il a reçu gratuitement dans sa pauvreté.

Ainsi le Fils, en nous, par nous, poursuit son incarnation.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Opération-Secours

Lettre d’information n° 36 – 4ème trimestre 2020
www.operation-secours.be

La faim tue davantage que la Covid-19. Chaque année, quelque 850 millions de femmes, d’hommes, d’enfants meurent de la faim dont un enfant toutes les 10 secondes tandis que l’urgence climatique (sécheresses, inondations) menace de plus en plus la sécurité alimentaire. Selon le PAM, suite à la crise de la Covid-19, près de 130 millions de personnes connaîtront une faim chronique principalement dans les Etats incapables, faute de moyens, de protéger leur population. Comme réponse à cette pandémie, il est impératif de procurer à ces populations pauvres et vulnérables des aliments sûrs et nutritifs via l’agroécologie.

Nous devons nous interroger sur ce rôle vital que joue la nourriture pour les populations. Nous interroger également sur les causes structurelles de la faim : parmi elles, la dette des pays du Sud qui atteint son plus haut niveau historique. Cette dette très élevée fait que les Etats “en voie de développement” sacrifient des dépenses publiques vitales à la santé ou au soutien à l’agriculture.

Depuis des années, la Belgique se contente de suivre les recommandations du G 20. Dans ce ciel gris, une petite éclaircie : la note ambitieuse de notre nouveau Gouvernement fédéral qui, par rapport aux précédents, pose un pas en avant pour la solidarité internationale afin d’atteindre l’objectif international en consacrant 0,7% du Revenu National Brut (RNB), au lieu de 0,416%, à l’aide publique au développement. De plus, plusieurs engagements pris en matière de politique commerciale, climatique, fiscale ou migratoire constituent de réelles avancées pour la cohérence des politiques pour le développement. Le Gouvernement s’engage aussi à rester vigilant à la bonne gouvernance des Etats aidés et aux droits humains.

Le problème de la faim est politique, son éradication aussi ! Mettons donc le monde à table ! L’alimentation doit être reconnue comme un REEL droit de l’Homme.”

Bruno PARMENTIER, ancien Directeur général de l’Ecole supérieure d’Agriculture d’Angers; auteur de plusieurs livres sur la problématique de nourrir l’humanité dont “FAIM ZERO”, Ed. La Découverte – 258 pages. Autres ouvrages : a) Nourrir l’humanité : les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXIème siècle. B) Manger tous et bien.

P.H.S.

Bulletin d’Opération Secours : www.operation-secours.be, tous renseignements sur les projets en cours de réalisation. Contrairement à certaines grandes organisations qui avouent 20 % de frais de fonctionnement, OPERATION SECOURS n’a aucun frais.

Hommage : Jonathan Sacks, le rabbin des nations

Lord Sacks n’est plus, emporté par un cancer, le samedi 7 novembre, à l’âge 72 ans. Ces jours-ci, les hommages se sont succédé, Jonathan Sacks, fils de réfugiés polonais anobli par la reine d’Angleterre, et siégeant à la Chambre des Lords, était un intellectuel de renom dans sa patrie, mais également dans tout le monde anglophone.

Citations

« Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire, chacun d’entre nous, pour pouvoir envisager l’avenir sans peur ? Je crois que oui … Je pense que la façon la plus simple de protéger votre ‘futur moi’ est de renforcer le ‘futur nous’ », annonce-t-il, en glosant sur « ce formidable rite religieux que nous avons créé » : le selfie avec son téléphone portable. « Je pense que les futurs anthropologues concluront que ce que nous vénérons à notre époque, c’est le soi, le moi, le je. »

« Nous avons pensé pouvoir diriger une société libre sur la seule base de l’économie et de la politique. Le problème, c’est que vous ne pouvez pas pour une raison simple : la politique et l’économie sont des domaines de concurrence »,

A ses yeux, si la civilisation occidentale avait pu s’élever dans l’histoire, c’est grâce à sa vision juive du monde, reprise par le christianisme, qui enseigne que « la vie humaine est sacrée, que l’individu ne peut jamais être sacrifié pour la masse, et que les riches et les pauvres, les grands et les petits, sont tous égaux devant Dieu ».

Mais, aujourd’hui, l’Occident n’est plus une culture chrétienne, c’est une culture mue par les médias, et nous sommes dans une des plus honteuses cultures de tous les temps ! C’est ce que font les réseaux sociaux : vous faites une chose de mal, et vous êtes humiliés à vie. Il n’y plus d’espace pour la miséricorde ». Il loue la distinction entre le pécheur et le péché. « Même si une personne pèche, elle reste toutefois intacte, elle peut être pardonnée. La culture de la culpabilité est une culture du pardon. La culture de honte est sans pitié. Lorsque la honte vous domine, vous n’êtes pas loin du suicide. »

Seuls deux de ses livres sont disponibles en français : La dignité de la différence (2002), chez Bayard, et Dieu n’a jamais voulu ça (2018, Albin Michel – 23 euros)

Pierre Jouva – LA VIE, 4 décembre 2020.

3ème dimanche de l’Avent – Année B – 13 décembre 2020 – Évangile de Jean 1, 6-28

Évangile de Jean 1, 6-28

Jean-Baptiste :
Témoin de Jésus

« Il y eut un homme envoyé par Dieu » : le début de la lecture du jour, extrait du prologue solennel de l’évangile de Jean, annonce l’apparition de Jean-Baptiste et son rôle essentiel : témoigner. Ensuite le récit commence et raconte comment ce témoignage a commencé. Nous nous retrouvons à l’endroit dont Marc nous a parlé dimanche passé. Il est bien précisé que le précurseur s’est installé de l’autre côté du Jourdain, au village de Béthanie. A la fin, Jésus viendra dans un village situé à l’est de Jérusalem et qui porte le même nom (qui signifie « maison des pauvres ») où il rendra la vie à Lazare. Si Jean-Baptiste fait passer d’une rive à l’autre, Jésus, lui, fera passer de la mort à la vie : voilà comment la Bonne Nouvelle s’adresse aux pauvres qui croient.

Les Juifs enquêtent

Et voici quel fut le témoignage de Jean quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour le questionner.

Dans l’évangile de Jean le procès de Jésus commence tout de suite par l’interrogatoire de son premier témoin. A Jérusalem les autorités du temple ayant appris l’activité de Jean-Baptiste envoient une commission afin d’enquêter car l’affaire est grave. On craint que cet agitateur provoque un soulèvement populaire. Et tout Israël sait que la purification des péchés n’est obtenue que par les sacrifices exécutés par les prêtres dans le Temple, selon un rituel très précis édicté dans le livre du « Lévitique ». Pourquoi cet homme, prêtre de surplus, s’arroge-t-il le droit de promettre le pardon par un baptême dans l’eau ? Cette initiative, totalement contraire à la Loi, est inadmissible et doit être arrêtée au plus tôt.

Curieusement Jean note que ces enquêteurs ont été délégués par « les Juifs ». ? Or, sauf rares exceptions, tous les personnages de l’évangile sont juifs, à commencer par Jean-Baptiste et Jésus ! Pour comprendre, il faut se rappeler les circonstances historiques. Jean rédige son livre à la fin du 1er siècle. En l’an 70, la révolte juive a été écrasée et le temple incendié. C’est la catastrophe, le malheur suprême pour Israël : plus aucun culte n’est possible puisqu’il ne pouvait se dérouler que dans la Demeure de Dieu.

Or tandis qu’Israël ne dispose plus que de synagogues, les nouvelles communautés chrétiennes continuent à se répandre. Juifs et païens s’y côtoient, partagent les mêmes repas dans leurs maisons. Par leur foi en Jésus Seigneur, ils semblent contester la foi monothéiste fondamentale et ils abandonnent les pratiques sacrées : la circoncision, la nourriture casher, l’observance du sabbat, les traditions des pères…Il apparaît de plus en plus incompatible d’être fidèle à la Loi et de croire à l’Évangile : on décide donc d’interdire l’entrée des synagogues aux juifs devenus chrétiens et on commence à les dénoncer au pouvoir romain. Dans cette faille dramatique qui se creuse, le terme « Juif » désigne alors les autorités, prêtres, pharisiens hostiles à la foi chrétienne. Et cependant dans son évangile, Jean dit bien que Jésus est juif (4, 9) et que « le salut vient des Juifs »(4, 22). La rupture, hélas, va s’élargir de plus en plus et l’antijudaïsme se développer. On sait à quelles horreurs cela conduira au fil des siècles.

Le Témoignage de Jean

Les délégués sont arrivés avec une opinion très défavorable. Une cascade de dix répliques déboule dans une tension croissante.

Qui es-tu ? – Je ne suis pas le Messie – Es-tu le prophète Elie ? – Non – Es-tu le Prophète attendu ? – Ce n’est pas moi – Qui es-tu ? Nous devons répondre à ceux qui nous ont envoyés – Je suis la voix qui crie dans le désert : « Aplanissez le chemin du Seigneur », comme disait Isaïe.– Pourquoi baptises-tu ? – Moi je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas : c’est lui qui vient derrière moi et je ne suis même pas digne de défaire la courroie de sa sandale.

En quoi donc consiste le témoignage du Baptiste ? En trois points importants.

D’abord il dit ce qu’il n’est pas. Il dénie correspondre aux grands personnages dont la venue était prophétisée dans les Écritures. Il n’est pas le Messie, le roi descendant de David, le Oint de Dieu annoncé tout au long de l’histoire d’Israël ( « Réjouis-toi, fille Sion, ton roi s’avance vers toi » (Zach 9, 9). — Il n’est pas Elie dont Malachie 3,23 prédisait le retour (« Je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur ». — Il n’est pas le grand Prophète promis par Moïse qui avait dit : « Dieu suscitera un prophète comme moi du milieu de vous » (Deut 18, 15).

Ensuite Jean ne décline pas son identité, ne se prévaut d’aucun titre. Il se réduit à sa fonction : il parle, il est « la voix » qui reprend la Bonne Nouvelle lancée jadis par le 2ème Isaïe. Celui-ci invitait les Judéens qui avaient été déportés à Babylone à se préparer et à revenir sur la terre d’Israël : maintenant Jean exhorte les gens à un retour spirituel, c.à.d. à se convertir car ils vont pouvoir sortir de l’esclavage du péché. Les enquêteurs ont donc tort de se méfier: l’intervention de Jean n’est pas farfelue ni blasphématoire, elle poursuit et accomplit le dessein de Dieu qui se réalise d’étape en étape.

Et enfin, reconnaissant l’insuffisance de ses exhortations et de son baptême dans l’eau, Jean-Baptiste révèle qu’un autre va lui succéder, un anonyme qui se trouve déjà présent et qui sera d’une envergure infiniment plus grande que lui. Ce sera évidemment Jésus qui se tient là, parmi les disciples de Jean, homme parmi les hommes : il accomplira le passage dans la vie, la libération du mal, la purification dans l’Esprit.

Être témoin de Jésus

Jean est donc le premier personnage qui apparaît dans l’évangile et sa mission est très précise : rendre témoignage de Jésus afin que l’on croie en lui. « Témoin-témoigner »est répété à 7 reprises. Dès le départ on se trouve dans une ambiance de procès : les autorités sont tout de suite sur le qui-vive. Donc ceux qui parlent de Jésus sont soupçonnés, criblés de questions. Leur foi devient une mission : ils ont à répondre, à justifier leur attitude. La Samaritaine. (chap. 4), le paralytique (chap.5), l’aveugle-né (chap.9) seront à leur tour de grands témoins de Jésus  et lui-même fera sa propre plaidoirie (chap.5). Que nous apprend le témoignage du Baptiste ?

Il s’est posté à un gué, sur un lieu de transit, de passages des caravanes, de communication entre nations. Le témoin de Jésus est un passeur et sa vie est en contact avec des chrétiens et des non croyants. Il ne doit pas être un mur de suffisance mais un homme de dialogue qui appelle à « sortir ». A sortir d’une existence égoïste, enclose sur elle-même afin de préparer un avenir. A oser une vie de don et de pardon, de service et de partage.

Le témoin ne se targue pas de ses titres, de ses compétences pour se donner de l’importance. Et il n’échappe pas à sa mission en prétextant de son incapacité, son manque de diplômes, sa condition modeste. Le témoin n’a qu’un devoir quel qu’il soit : annoncer Jésus. Surtout il ne se présente pas lui-même comme l’homme qui va régler les problèmes. Nul n’est sauveur. Le siècle dernier a vu défiler des prétendus sauveurs : Staline, Hitler, Mao, Pol Pot ont été les plus cruels carnassiers de l’histoire. Maintenant, après eux, l’époustouflante société occidentale avec ses exploits mirifiques, se propose comme la réussite de l’humanité. Elle a essayé de persuader qu’elle pouvait accomplir l’homme et que l’on pouvait désormais ranger la foi dans le grenier des vieilles superstitions. On a même parlé de « la fin de l’histoire ».

Il y a quelques années, il était normal d’être chrétien, la majorité de certains de nos pays était baptisée. Aujourd’hui dans certains milieux il est malséant de prononcer le nom de Dieu ; l’Église est critiquée, sommée de se taire ; devant ses statistiques en chute libre, on la dit décadente, en voie de disparition. Désemparés dans leurs églises presque vides, et en panne de célébrants, les croyants sont tentés de s’enfermer dans le mutisme, d’espérer le retour du bon vieux temps.

Jean-Baptiste nous rappelle qu’il est normal d’être soupçonné, qu’il faut s’attendre à être l’objet d’interrogatoires : la foi est témoignage au sens judiciaire. L’évangile commence par le procès de Jean-Baptiste et il finira par le procès, et la condamnation, de Jésus.

Avec vivacité, il exhorte à préparer le chemin du Seigneur. Plus que de préparer l’envol d’une navette spatiale, de peaufiner le luxe de notre confort et la variété de nos voyages, il s’agit de travailler dur pour briser notre égoïsme. Car le chemin vers Dieu se concrétise toujours dans l’effort pour cheminer vers les hommes. La situation actuelle qui multiplie la misère, le désarroi, la solitude, la désespérance oblige à de nouvelles inventions de la charité.

Mais surtout, essentiellement, Jean-Baptiste annonce Jésus. Il viendra sûrement et il est déjà au milieu de nous. Lui seul dispose d’assez de pouvoir pour purifier des péchés, pour achever le chemin vers Dieu, pour accomplir la pâque, le passage.

Conclusion

Le procès de Jésus se déroulera jusqu’à la fin des temps et ses disciples sont de ce fait ses témoins. Non admirés et imités mais suspects, voire dangereux. Mais la Bonne Nouvelle offre un bonheur tellement grand qu’elle allume le désir de le partager. La vie en fraternité d’Église permet une telle communion que les croyants souffrent de voir tant de misères, tant de solitudes, tant de conflits, tant de guerres et ils montrent le Prince de la Paix. Celui-ci les a prévenus : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier » (15, 18). Mais « Dieu aime tant le monde qu’il donne son Fils pour le sauver » (3, 16).

Frère Raphaël Devillers, dominicain

2ème dimanche de l’Avent – Année B – 6 décembre 2020 – Évangile de Marc 1, 1-8

Évangile de Marc 1, 1-8

Commencement de la Joyeuse Nouvelle

L’année nouvelle a débuté par un sérieux avertissement du Seigneur : « Veillez ! Veillez ! Soyez sur vos gardes ! ». Non pour nous faire trembler d’anxiété mais pour nous rendre attentifs. Car les événements les plus importants ne sont pas toujours ceux claironnés par les médias toujours avides de nous focaliser sur le spectaculaire et le superficiel. C’est ainsi qu’aujourd’hui, en commençant l’évangile de Marc, celui-ci nous rappelle que la plus grande aventure de l’histoire de l’humanité a commencé dans un coin inconnu, bien loin des fastes impériaux de Rome. Tout à coup une petite voix a retenti. Veillons et écoutons la voix de Jean-Baptiste.

Le Messager de Dieu

« Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers »

Pendant très longtemps, Israël et la Jordanie se sont disputés car les énormes ressources financières dues au tourisme étaient en jeu. Après de longues recherches, les archéologues ont tranché : selon les plus anciens vestiges découverts (ruines, signes d’un culte au prophète), c’est bien sur la rive orientale du fleuve Jourdain que Jean-Baptiste s’était installé. En se plaçant en-dehors de la terre sainte, le prophète invitait donc ses compatriotes à sortir de leur pays, à traverser le gué pour le rejoindre et écouter son enseignement. Lorsque, convaincus, ils avouaient leurs péchés, il les plongeait (c’est le sens du mot baptême) dans le fleuve de sorte qu’ils retournaient sur leur terre. Le baptême/plongée était donc un acte symbolique de purification en même temps qu’un passage.

Qui était ce Jean qui surgit tout à coup comme un météorite pour ouvrir l’évangile ? D’après Luc, il est le fils du prêtre Zacharie et d’Élisabeth si bien que, le sacerdoce étant héréditaire, ce jeune homme devait normalement officier au temple. Jean a reçu une vocation qui l’a fait rompre avec les liturgies sacrificielles de Jérusalem pour adopter la vie pauvre d’un prophète et notamment d’Elie dont il porte le vêtement distinctif : le manteau de poils de chameau. Les prophètes Jérémie et Ézéchiel étaient eux aussi d’anciens prêtres.

Le thème sous-jacent de ce début d’évangile est donc « le passage ». Jean passe du sacerdoce à la prophétie, de la liturgie à la prédication ; les gens sortent de chez eux puis passent de Transjordanie en Israël ; ils passent du péché à la purification, de la vie ordinaire à la décision de se convertir afin de préparer le chemin du Messie qui va venir.

Les trois Passages

« Sortir », « passer » : c’est le mouvement même qui dynamise toute l’histoire biblique. Au point de départ, Dieu a appelé Abraham à sortir de Mésopotamie pour traverser le fleuve Euphrate et passer en terre de Canaan. C’est pourquoi il s’appelle l’Hébreu qui signifie «qui vient de l’au-delà » du fleuve.

Bien plus tard, ses descendants étaient devenus, pendant des siècles, esclaves en terre d’Égypte : lors de la fête de printemps appelée « pessah » – la Pâque (en français : passage) – , Dieu, par Moïse, les a fait sortir, ils ont passé la Mer rouge, traversé le désert du Sinaï pour atteindre enfin le Jourdain. Moïse est mort là, au-delà, en Transjordanie et c’est son successeur, Josué (même mot en hébreu que « Jésus » = sauveur) qui a fait passer le Jourdain au peuple pour entrer en Israël. L’Exode est le récit de la libération par Dieu.

Au 6ème siècle avant notre ère, Nabuchodonosor a conquis Jérusalem, détruit son temple et déporté à Babylone le roi, les notables, les prêtres et une partie de la population. Mais quelques dizaines d’années plus tard, les Perses ont vaincu et le roi Cyrus a renvoyé les déportés dans leur pays. Cet événement sensationnel a été proclamé par un prophète anonyme, grand écrivain, auteur d’un livret que l’on a adjoint à l’ancien livre du prophète Isaïe, si bien que les chapitres 40 à 55 sont attribués à cet anonyme que l’on appelle le 2ème Isaïe. Un bel extrait de ce livre constitue la première lecture de ce dimanche.

La merveille est que le projet de Dieu rebondit toujours au fil du temps. L’évangéliste Marc a compris que la voix anonyme qui annonçait jadis la joyeuse nouvelle de la libération était en outre une prophétie de la mission de Jean-Baptiste. La voix inconnue qui lançait aux déportés en Babylonie la joyeuse nouvelle de la fin de l’exil et du retour au pays est maintenant la voix de Jean-Baptiste. Il est le messager de Dieu qui a mission de préparer la route.

Donc il y eut le 1er exode : la sortie de l’esclavage d’Égypte ; puis le 2ème : la sortie de la déportation en Babylonie. Maintenant voici le 3ème. De quelle libération s’agit-il ? Quelle route s’agit-il d’aménager ? Le travail est maintenant moral : « préparer le chemin » désigne le dur travail de conversion : enlever de nos cœurs les pierres de l’égoïsme et de la dureté, aplanir les boursoufflures de l’orgueil et de la cupidité, combler les ornières de la tristesse et du désespoir, rectifier les louvoiements du mensonge et de la ruse.

La Morale insuffisante

Est-ce à dire que les exhortations pressantes, les encouragements chaleureux, les ordres impérieux vont suffire à réaliser notre passage à la liberté ? Non. L’histoire biblique prouve que, à travers les siècles, tous les appels et toutes les menaces des prophètes n’ont jamais réussi à convertir en profondeur le peuple élu.

Et Jean-Baptiste en prend conscience. Il remplit la dure mission qu’il a reçue de Dieu, il répète ses enseignements, il admoneste, il multiplie les plongées dans l’eau, il entend les belles promesses des baptisés qui l’assurent qu’ils vont changer de vie. Mais il ne les croit pas et il perçoit sa propre insuffisance. C’est pourquoi il commence à annoncer la venue d’un autre :

Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi.
Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales.
Moi je vous ai baptisés dans l’eau : lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint.

Jean-Baptiste doit d’abord venir, il doit rappeler les exigences de la Loi, susciter le sens du péché, provoquer la demande explicite du pardon et le désir de la purification. Mais la morale doit être dépassée. Elle est nécessaire, indispensable, irremplaçable mais elle a ses limites. Non parce qu’elle est trop exigeante, ni parce que le prédicateur s’exprime mal, ni parce que nous, les auditeurs, nous sommes lâches et hypocrites. Mais parce notre volonté est déficiente, rétive à toutes nos bonnes résolutions cent fois répétées et toujours avortées. On ne fabrique pas sa plénitude à coup d’exploits. Le péché des pharisiens était de vouloir sculpter leur statue intérieure à coup d’efforts héroïques et de pratiques minutieuses.

C’est la grandeur immense de Jean-Baptiste de l’avoir compris : il a eu l’humilité de reconnaître qu’il ne pouvait pas, lui, accomplir le « passage » que Dieu demandait. La méthode des prophètes devait tout à coup changer de plan. Un « autre » allait venir, un fils d’homme, mais d’une identité infiniment supérieure, bien plus grande que celle séparant un maître de ses esclaves.

Ce mystérieux inconnu qui succèdera à Jean et dont la venue est imminente, prêchera, exhortera, baptisera mais possédant l’Esprit de Dieu, il pourra le communiquer. Jean plongeait les hommes dans une eau qui lavait le corps mais ne pénétrait pas à l’intérieur de l’être ; Jésus aura le pouvoir de les plonger dans la Force de Dieu qui les pénètrera, les transfigurera. Il s’agira donc maintenant d’un événement bouleversant, incroyable pour beaucoup. Cet événement, c’est ce que Marc se propose de raconter et d’emblée il en proclamait triomphalement le contenu :

Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu

Nous sommes habitués à lire ce titre dans nos bibles et à entendre proclamer : « Évangile de Jésus Christ selon saint Marc ». En réalité cette formule est une invention de l’Église et le titre véritable du livre est bien : « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». En grec 7 mots. Qui l’a écrit ? L’auteur se cache dans l’anonymat. C’est bien plus tard que l’Église donnera des noms aux 4 livrets. Quand a-t-il écrit ? On ne sait. Les spécialistes proposent les années 70 de ce qui sera notre 1er siècle, une quarantaine d’années après la mort de Jésus.

Etienne, Pierre, Paul et d’autres ont été exécutés ; les autres apôtres ont disparu. Perdues dans l’immense population de l’Empire, soupçonnées, critiquées, parfois persécutées, de petites communautés se développent en Israël, en Grèce, et même à Rome. Et Marc est le premier écrivain de l’histoire à écrire un « Évangile ».

Le mot lui vient du 2ème Isaïe dont nous avons parlé et signifie : « Joyeuse Nouvelle ». Il désigne donc d’abord une parole, une annonce vocale, une proclamation. Il ne porte que sur un sujet : la personne de Jésus dont Marc proclame fièrement l’identité : « Messie, Fils de Dieu ».Le but de Marc est de nous conduire à cette confession qui constitue l’acte même de notre libération. Croire en Jésus accorde la sortie de la nuit opaque de l’absurde, le passage dans la liberté, la naissance à la vie divine.

Et l’aventure commence quand tu acceptes d’obéir à une voix qui te dit : « Sors, passe, prépare le chemin de Dieu ». Lis Marc et tu rejoindras, à la fin, le soldat païen qui, devant la croix où Jésus vient de mourir, confesse : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu »( 15, 39).

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Pape François : « Réveille-nous … »

L’Avent est le temps où il faut faire mémoire de la proximité de Dieu qui est descendu vers nous. …Le premier pas de la foi est de dire au Seigneur que nous avons besoin de lui, de sa proximité.

Reconnaître que Dieu est proche et lui dire : « Approche-toi encore ! ». Il veut venir tout proche de nous, mais il se propose, il ne s’impose pas ; c’est à nous qu’il revient de ne pas nous fatiguer de lui dire : « Viens ! ». Invitons-le. Faisons nôtre l’invocation typique de l’Avent : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20). Une petite prière, mais elle naît du cœur. Disons-la en ce temps de l’Avent, répétons-là.

Vigilance

Ainsi, en invoquant sa proximité, nous exercerons notre vigilance. Une erreur de la vie est de se perdre en mille choses et de ne pas s’apercevoir de la présence de Dieu. Saint Augustin disait :  « J’ai peur que Jésus passe et que moi je ne m’en rende pas compte ».

Attirés par nos intérêts et distraits par tant de vanités, nous risquons de perdre l’essentiel. C’est pourquoi, le Seigneur répète aujourd’hui « à tous : veillez ! » (Mc 13, 37). Veillez, soyez attentifs. La nuit passera, le Seigneur se lèvera, il nous jugera, lui qui est mort en croix pour nous. Veiller, c’est attendre cela, c’est ne pas se laisser submerger par le découragement, et cela s’appelle vivre dans l’espérance.

Comme avant de naître nous avons été attendus par ceux qui nous aimaient, maintenant nous sommes attendus par l’Amour en personne. Et si nous sommes attendus au Ciel, pourquoi vivre de prétentions terrestres? Pourquoi nous fatiguer pour un peu d’argent, de renommée, de succès, toutes ces choses qui passent? Pourquoi perdre du temps à nous plaindre de la nuit alors que la lumière du jour nous attend ? Pourquoi chercher des « parrains » pour avoir une promotion dans la carrière? Tout passe. Veillez, dit le Seigneur.

Sommeil de la médiocrité

Il y a un sommeil dangereux : le sommeil de la médiocrité. Il vient quand nous oublions le premier amour et avançons par inertie, en ne pensant qu’à vivre dans la tranquillité. Mais sans élans d’amour pour Dieu, sans attendre sa nouveauté, on devient médiocres, tièdes, mondains. Et cela ronge la foi, parce que la foi est ardent désir de Dieu, elle est audace continue de se convertir, elle est courage d’aimer, elle est d’aller toujours de l’avant.

Et alors, comment pouvons-nous nous réveiller du sommeil de la médiocrité ? Par la vigilance de la prière. Prier, c’est allumer une lumière dans la nuit. La prière réveille de la tiédeur d’une vie horizontale, élève le regard vers le haut, nous harmonise avec le Seigneur. La prière permet à Dieu d’être proche de nous ; c’est pourquoi elle libère de la solitude et donne l’espérance.

La prière oxygène la vie : tout comme on ne peut pas vivre sans respirer, de même on ne peut pas être chrétiens sans prier. Et on a tant besoin de chrétiens qui veillent pour ceux qui dorment, d’adorateurs, d’intercesseurs, qui portent jour et nuit devant Jésus, lumière du monde, les ténèbres de l’histoire. Nous avons perdu un peu le sens de l’adoration, de rester en silence devant le Seigneur, en adorant. Sommeil de l’indifférence.

Sommeil de l’indifférence

Il y’ a ensuite un second sommeil intérieur : le sommeil de l’indifférence. Celui qui est indifférent ne s’intéresse pas à celui qui lui est proche. Lorsque nous tournons seulement autour de nous-mêmes et de nos besoins, indifférents à ceux d’autrui, la nuit descend dans notre cœur. Vite, on commence à se plaindre de tout, puis on se sent victime de tous et finalement on fait des complots sur tout. Plaintes, sentiment de victime et des complots. C’est une chaîne.  

Comment nous réveiller de ce sommeil de l’indifférence ? par la vigilance de la charité. La charité est le cœur battant du chrétien : on ne peut être chrétiens sans la charité. c’est l’unique chose gagnante, parce qu’elle est déjà projetée vers le futur, vers le jour du Seigneur, quand tout passera et qu’il ne restera que l’amour. C’est avec les œuvres de miséricorde que nous nous approchons du Seigneur.

Viens, Seigneur Jésus, nous avons besoin de toi. Viens tout près de nous. Tu es la lumière : réveille-nous du sommeil de la médiocrité, éveille-nous des ténèbres de l’indifférence. Viens, Seigneur Jésus, rends vigilants nos cœurs qui maintenant sont distraits : fais-nous ressentir le désir de prier et le besoin d’aimer.

Pape François
Homélie du 30.11.2020 – extraits

8 Décembre : Fête de Marie, Immaculée Conception

Suite aux mesures sanitaires, ce 8 décembre, le pape François ne s’est pas rendu comme d’habitude place d’Espagne pour une prière à Marie au pied de la colonne de l’Immaculée. Voici des extraits de la prière qu’il avait prononcée en 2019

«O Marie Immaculée, nous nous rassemblons autour de toi une fois de plus. Plus nous avançons dans la vie et plus notre gratitude envers Dieu augmente d’avoir donné comme mère à nous qui sommes pécheurs, Toi, l’Immaculée Conception. De tous les êtres humains, tu es la seule préservée du péché, comme mère de Jésus Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Mais ce singulier privilège qui est le tien t’a été donné pour notre bien à tous, tes enfants.

En fait, en te regardant, nous voyons la victoire du Christ, la victoire de l’amour de Dieu sur le mal : là où le péché abondait, c’est-à-dire dans le cœur humain, la grâce a surabondé, par la douce puissance du Sang de Jésus.

Toi, Mère, rappelle-nous que, oui, nous sommes pécheurs, mais nous ne sommes plus esclaves du péché ! Ton Fils, avec son sacrifice, a brisé la domination du mal. Il a vaincu le monde.

Ainsi tu nous rappelles qu’être pécheur et être corrompus, ce n’est pas la même chose : c’est très différent.

Tomber et ensuite, se repentir, se confesser et se relever avec l’aide de la miséricorde de Dieu, est une chose. La connivence hypocrite avec le mal, la corruption du cœur qui à l’extérieur s’affiche impeccable, mais qui, à l’intérieur, est plein de mauvaises intentions et d’égoïsme mesquins, est une autre chose.

Ta pureté nous appelle à la sincérité, à la transparence, à la simplicité. Nous avons tant besoin d’être libérés de la corruption du cœur, qui est le plus grave danger ! Cela nous semble impossible, nous sommes tellement « addicts », et pourtant, c’est à portée de main. Il suffit de regarder vers le haut, vers ton sourire de Mère, vers ta beauté immaculée, pour sentir à nouveau que nous ne sommes pas faits pour le mal, mais pour le bien, pour l’amour, pour Dieu !

Pour cela, ô Vierge Marie, aujourd’hui, je te confie tous ceux qui, dans cette ville et partout dans le monde, sont opprimés par la méfiance, par le découragement à cause du péché ; ceux qui pensent qu’il n’y a aucun espoir pour eux, que leurs fautes sont trop nombreuses et trop grandes, et que Dieu n’a pas de temps à perdre avec eux.

Je te les confie, car tu n’es pas seulement une mère et tu ne cesses jamais d’aimer tes enfants, mais tu es aussi l’Immaculée, pleine de grâce, et tu peux refléter jusque dans les ténèbres les plus épaisses un rayon de lumière du Christ ressuscité. Lui, et Lui seul, brise les chaînes du mal, libère des addictions les plus avides, délie des liens les plus criminels, adoucit les cœurs les plus durs. Et si cela se produit à l’intérieur des personnes, alors le visage de la ville change !

Dans les petits gestes et les grandes décisions, les cercles vicieux deviennent progressivement vertueux, la qualité de vie s’améliore et le climat social est plus respirable. Nous te remercions, Mère Immaculée, de nous rappeler que, par l’amour de Jésus Christ, nous ne sommes plus esclaves du péché, mais libres, libres d’aimer, de nous aimer, de nous aider comme frères, même si nous sommes différents.

Merci de nous encourager à ne pas avoir honte du bien, mais du mal. Aide-nous à nous tenir à distance du mal, qui nous trompe et nous attire vers lui, dans des spirales de mort. Donne-nous le doux souvenir que nous sommes enfants de Dieu, Père d’une immense bonté, source éternelle de vie, de beauté et d’amour. Amen».