Évangile de Matthieu 24, 37-44
Moi, nouveau-né
Deux mille ans que l’Église fête Noël. Deux mille ans … Et où en est-on ? Deux mille ans que nous fêtons la délivrance ultime – Dieu qui se fait homme – deux mille ans que nous proclamons qu’un sauveur nous a été donné, qu’il est venu nous rejoindre et qu’il habite désormais parmi nous, qu’il continue à vivre en nous. Deux mille ans d’Incarnation … Et qu’est-ce que cela a changé ?
L’économie est aux mains des plus avides ; la politique aussi. Nous venons de clore le siècle le plus dramatique de l’Histoire ; jamais le monde n’a autant réduit de gens en esclavage qu’aujourd’hui. De quoi la venue de Dieu sur Terre nous a-t-elle sauvés ? En quoi a-t-elle simplement changé les choses ?
La crise est partout. De toutes parts, les tensions montent et des guerres éclatent ; l’information quotidienne est une incitation à la déprime ; notre planète est malade : tous plantes, animaux, humains souffrent ….
Cinq siècles avant notre ère, Isaïe prophétisait : « De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. ». Depuis lors le Christ est venu. Et qu’y a-t-il de changé ? N’en sommes-nous pas encore à supplier « Jamais plus la guerre ! » (Paul VI, discours aux Nations-Unies, 4 octobre 1965) ?
Deux mille ans que nous chantons « Il est né le divin enfant » – deux mille ans que l’Église nous invite à nous réjouir à Noël – et qu’est-ce ça a changé ? Rien ? Alors nos célébrations sont du vent …
C’est quoi Noël ? Un souvenir qui s’évanouit dans la nuit des temps ? Une surconsommation de sapins coupés, de crustacés et de gibiers ? Un moment de cadeaux et de plaisirs ? Un repas familial à peine différent des autres repas familiaux ? C’est quoi Noël ?
Si notre Noël prochain n’est pas différent de notre Noël de l’an passé : alors il est désespérant. Noël n’est pas tant un passé que l’on se remémore qu’un renouvellement qui s’opère. Quelque chose doit avant changé pour que ce soit Noël. Et puisqu’on en est à parler de l’Incarnation, quelque chose doit avoir changé en moi, pour que ce soit Noël.
Noël c’est l’incarnation à nouveau frais en nous de la présence divine. C’est dans la mesure où je serai une crèche vivante, lieu d’une venue divine au monde, que ce sera pour moi Noël.
L’incarnation de Dieu a-t-elle sauvé le monde des catastrophes, des guerres et des famines ? Non. L’incarnation de Dieu a-t-elle sauvé le monde des épidémies, des génocides, des souffrances et de la mort ? Non.
C’est d’abord individuellement que nous avons été sauvés ; ensuite, des résurrections individuelles se relèvera le monde. C’est un par un que le Christ guérit les impurs ; relève les paralytiques ; délivre d’esprits mauvais. Ceci devrait nous faire prendre conscience du caractère premièrement intime de la fête de Noël : qu’est-ce que la venue de Dieu change en moi ?
Le sens collectif de la fête de Noël, paradoxalement dans ce monde individualiste, nous le maîtrisons fort bien. Nous sommes le premier dimanche de l’Avent et la société est déjà fort occupée à préparer les fêtes de fin d’année. Partout les illuminations apparaissent ; déjà certains sont en quête de menus et de cadeaux.
Mais le sens individuel de Noël – en quoi sera-ce en moi une fête – ce sens tant personnel que concret de l’incarnation d’un Sauveur, celui-là semble perdu. Y compris chez beaucoup de chrétiens.
Noël est la fête d’un nouveau-né et ce nouveau-né c’est moi. Qu’est-ce qui, en moi, aura changé à Noël ? Voilà la question d’aujourd’hui.
Mettre fin à une querelle ; aller retrouver quelqu’un qui nous manque. Changer un soupçon en confiance. Accueillir l’étranger. Voilà, c’est Noël.
Changer son comportement, rejeter les œuvres des ténèbres – débauches, rivalités, jalousies – et revêtir des armes de lumière, comme dit Paul. Voilà, c’est Noël.
Renoncer à un rancune. Pardonner à un ennemi. Confesser une une faute. Présenter des excuses pour un tort. Se réconcilier. Voilà, c’est Noël.
Peut-être retrouver de la joie de vivre. Exprimer enfin sa gratitude. Raviver son âme d’enfant. Retrouver le sens du naturel ; s’en émerveiller à nouveau. Voilà, c’est Noël.
Aller dire à ceux qu’on aime qu’on les aime, témoigner d’un peu plus de tendresse, aller réchauffer le cœur de quelqu’un. Voilà, c’est Noël.
Pour vous, qu’est-ce qui change à Noël ?
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.