Évangile de Matthieu 9,16 – 10,8
Mission Urgente
Il y a deux semaines (fête de la Trinité), j’avais rapporté quelques chiffres de la dernière enquête INSEE sur la pratique religieuse en France. La part des catholiques chute encore : de 43 % en 2012 à 20 % en 2022. Le déclin se marque autant dans beaucoup d’autres pays occidentaux. C’est pourquoi notre cher pape François multiplie sans arrêt les appels à la mission et, en dépit de sa santé déclinante, il n’hésite pas à entreprendre de nouveaux voyages où sa passion, disait un cardinal, était de rencontrer les jeunes.
Le temps de la chrétienté où notre société était très marquée par les pratiques catholiques est terminé. La foi n’est plus un héritage qu’il suffit de transmettre et la sécularisation a liquidé ce qui nous semblait des certitudes éternelles. Devant ce fait, nous ne pouvons capituler pas plus que nous ne devons rêver d’une Eglise majoritaire qui s’impose à tous. Mais si nous ne plantons pas les germes du Royaume de Dieu, c’est le royaume du mal qui nous fera basculer dans l’abîme.
Or en ce dimanche, après le cycle des grandes célébrations pascales, nous reprenons la lecture suivie de l’évangile de Matthieu qui précisément nous donne les consignes du Seigneur pour la mission.
Mission n’est pas prosélytisme
Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité.
Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples :
« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »
Les 4 évangiles concordent : l’activité principale de Jésus a été de circuler sans arrêt afin de parler aux hommes : moyen sans violence, proposant sans forcer, s’adressant aux gens du peuple et aux villageois dans leur langage. Qu’est-ce qui l’animait ? Non le prosélytisme, le désir de recruter, la passion de commander mais uniquement l’amour. Nous, les terribles malheurs qui frappent l’humanité nous font un peu de peine, nous arrachent une plainte mais nous laissent dans la torpeur. Mais pour Jésus, Mathieu emploie un verbe très fort : il ne dit pas que Jésus a pitié, qu’il ressent de la condescendance mais qu’« il était pris aux entrailles », comme une femme étreinte devant son enfant moribond. Il ressent comme une souffrance maternelle.
Ces foules qui s’agitaient en tout sens, savaient-elles où elles allaient ? Quel était le sens de leur existence ? Pour Jésus elles ressemblaient à des brebis dispersées, égarées et il venait vers elles pour les guider, soigner les blessées, être leur bon pasteur qui les rassemble et les conduit au but.
Et il y avait une seconde raison qui le pressait et que lui avait révélé son baptême : le moment final de l’histoire était arrivé, c’était, comme disaient les prophètes, le « temps de la moisson », le moment du jugement définitif. Il devait annoncer que Dieu allait ouvrir son Royaume. Non par une explosion fulgurante mais avec les cœurs qui allaient accepter de changer de mode de vie.
D’où les quatre verbes employés par Matthieu : Jésus circule, il rejoint les gens dans leur vécu – tel un héraut, il proclame non une morale mais une nouvelle, La Bonne Nouvelle, l’Evangile du Règne de Dieu – il enseigne c.à.d. il explique, invente des histoires, se fait pédagogue inlassable – et il opère des guérisons, par miséricorde et non pour séduire le peuple par des merveilles.
Devant ce qui presse, que faut-il donc faire ? Non s’élancer dans des initiatives intrépides mais d’abord prier : prier le Père de choisir et d’envoyer ceux et celles qu’il voudra car le salut du monde ne sera jamais œuvre humaine mais œuvre divine.
Le choix des premiers envoyés
Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ;Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.
La mission se diversifiera dans l’univers mais elle est unique et Pierre restera toujours le premier : un simple pêcheur de Capharnaüm, qui reniera son maître mais qui sera rétabli berger grâce à sa miséricorde. La responsabilité dans l’Eglise n’est pas basée sur l’impeccabilité. Et même certains deviendront des renégats. La chute scandaleuse de certains guides empêchera l’Eglise de se gonfler d’orgueil et lui rappellera que son œuvre essentielle est le pardon. Mais tous sont des « envoyés », sens du mot « apôtres », donc tenus à remplir l’œuvre de Dieu, et de se présenter comme plénipotentiaires de leur Seigneur sans s’évader dans des inventions de leur crû.
L’enseignement sur la mission
Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons.
Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »
Ici commence le 3ème grand discours de Matthieu, celui consacré à la mission ; ce jour nous n’en écoutons que le début lequel nous étonne en sélectionnant uniquement les Juifs mais c’est bien à partir d’Israël que l’Evangile va se répandre. On verra par la suite que la mission s’ouvrira au monde entier (Matt 28,19)
Jésus transmet son propre comportement : marcher, ne pas attendre que des gens se présentent mais prendre part à leur vie – surtout proclamer la venue proche du royaume de Dieu : il s’agit d’un événement qui va survenir et qu’il faut annoncer comme nouveau : « la Bonne nouvelle ». Et les apôtres doivent montrer par leur vie ce dont il s’agit – combattre le mal par le don reçu du Seigneur, purger les cœurs de la rapacité, de la haine, de l’égoïsme et même, parfois, libérer les corps.
Cette tâche essentielle doit s’effectuer sans demander de rétributions. Voyant votre pauvreté et votre sincérité, les gens vous soutiendront et ainsi feront-ils un pas d’entrée dans le Royaume.
L’infidélité dans l’histoire
Il n’a pas fallu beaucoup de siècles pour que ces prescriptions connaissent la dérive.
Jésus n’avait institué qu’une chose : des envoyés itinérants (apôtres) mobilisés entièrement par la Parole à proclamer à temps et à contretemps. On a cru que ce temps de l’annonce première était clos et qu’il suffisait dès lors d’entretenir l’héritage par des rites, des institutions et la morale. Or l’annonce demeurera à jamais l’action fondamentale. Il ne faut pas moraliser vos enfants mais les évangéliser, leur montrer que vous êtes heureux de vivre selon l’Evangile.
Nous sommes bombardés sans arrêt par des pubs : « Nouvelle Renault, Nouvelle Rolex…etc… ». Combien peuvent entendre « la pub de l’Evangile » ? Un séminariste, à la veille de son ordination, me confiait : « Sur toute notre formation, nous n’avons pas eu un seul cours sur la prédication ».
Dès le début des « Actes des apôtres », on voit le but que les apôtres cherchent à réaliser : de petites communautés locales où patron et ouvrier, dame professeur et cancre, grand-mère âgée et jeune sportif comprennent que les différences de culture, de classe, d’âge peuvent converger dans une charité réciproque. A Corinthe, à Ephèse, à Thessalonique, à Rome, Paul savait, au fond des prisons où il était parois jeté, que, ici et là, des germes d’évangile poussaient irrésistiblement et qu’il fallait se réjouir.
Cette charité n’était possible que parce que tous ces petits groupes se réunissaient le premier jour de la semaine chez l’un d’eux afin d’écouter des passages d’évangile, de discuter librement afin d’approfondir leur connaissance de Jésus et puis de partager son Pain de Vie et le Vin de l’allégresse. La joie de l’Esprit les saisissait, les portait à se pardonner sans cesse, à s’entraider, à venir en aide aux plus démunis.
Or l’apôtre itinérant a fait place au prêtre ritualiste : la simple maison d’église est devenue édifice sacré. Au lieu de consacrer tous les efforts à créer et conserver la communion des membres du Christ, on a voulu époustoufler par la grandeur, le hiératisme des démarches, la solennité des rites.
L’histoire bouge, les crises se succèdent, des idéologies apparaissent. De grandes secousses bousculent l’Eglise aujourd’hui. Beaucoup les déplorent, s’inquiètent, et même prophétisent son écroulement.
Et si nous prenions exemple sur le pape François ? On n’ignore plus le dur combat qu’il mène depuis le début d’abord pour remettre de l’ordre au coeur du Vatican gangrené par l’amour de l’argent de certains prélats, ses efforts incessants pour nous « faire sortir » des sacristies et devenir comme un « hôpital de campagne » qui rejoint les blessés de la vie, tous les pauvres écrasés par la misère. Sa lutte est dure, les adversaires sont nombreux. Mais le vieil homme continue : Prêcher à temps et contretemps. Se taire sur le Fils de Dieu qui a donné sa vie sur une croix est un épouvantable scandale.
— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.